Ou comment, en deux heures et dix minutes, un réalisateur de films d'animation remet au goût du jour l'actioner décomplexé. Faisant fi du scénario inconsistant (et c'est bien là le principal problème du film) mis à sa disposition, Bird s'amuse à faire péter le Kremlin, à filmer l'évasion d'une prison soviétique sur fond de Dean Martin, ou donne des cours de varappe à Tom Cruise sur le Burj Dubaï. C'est gratuit, idiot, souvent over-the-top, et le pire c'est que le spectateur en redemande.

Traditionnellement, la véritable star d'un film d'action, c'est son réalisateur, et ce petit filou de Brad l'a bien compris. Plutôt que de se laisser vampiriser par Cruise comme ses collègues avant lui, le réalisateur refuse les avances de la petite boule de poils scientologue et tape du poing sur la table pour remettre les personnages au centre du récit. Alors évidemment on n'échappera pas à quelques scènes de bravoure de la part du grand Tom (notamment cette fameuse grimpette sur la tour la plus haute du monde), mais dans l'ensemble les excellents Jeremy Renner, Simon Pegg et Paula Patton ont aussi leur mot à dire, et c'est plutôt cool. Mieux encore, ils ne servent pas que de faire-valoir, et avec le capillaire Tom ils forment une équipe charismatique que l'on a envie de revoir dans les prochains épisodes.

On savait déjà Bird amoureux de ses personnages, du naïf Hogart Hugues au poilu Rémy et son gaffeur d'ami Linguini, en passant par la famille Parr, mais Ghost Protocol a aussi été l'occasion pour le réalisateur de ré-utiliser en live les acquis appris en animation ; parmi eux, le sens du rythme, du cadrage et de la mise en scène. Ironique ? Totalement : contrairement à ses petits copains Bay et Cameron qui se contentent de poser la caméra et de remplir le champ du plus grand nombre d'explosions et d'images de synthèse (voire d'explosions en images de synthèse) possible, Bird vient d'une école où tout est possible, mais pas spécialement judicieux. Nourri aux films d'action et d'espionnage de la grande époque, comme on avait déjà pu le remarquer dans l'excellent hommage des Indestructibles, le réalisateur pense climax avant de penser explosions, une grammaire qui a donné ses lettres de noblesse au genre.

Car si Ghost Protocol est le blockbuster AAA par excellence, ce n'est pas grâce à ses effets visuels. Sur ce point-même, le film est loin d'être ébouriffant, et peu importe finalement, car le divertissement est au rendez-vous. Face à l'indigence du script (que l'on pourrait résumer sommairement par : l'agence est une fois de plus dans la merde, des terroristes dérobent un missile nucléaire pour déclencher la Troisième Guerre Mondiale, Tom Cruise et ses copains sauvent le monde), le réalisateur a la bonne idée de colmater les trous avec des scènes d'action rollercoaster et une bonne dose de second degré. Pas de vrai grand méchant, pas de traître sortant des placards, pas de climax final (à mon plus grand regret), on casse tout ce qui rendait la série poussiéreuse pour repartir sur de nouvelles bases, à la manière de Campbell sur son Casino Royale.

Le plus important dans cette entreprise, c'est que Bird garde en tête de ne jamais se prendre au sérieux. On défonce la lignée Mission: Impossible à grand coups de masse, mais on le fait avec beaucoup d'humour histoire de bien faire passer le message : les masques deviennent inutiles (le seul que l'on verra pendant tout le film servira au faux méchant à dévoiler sa tête de vrai méchant, hilarité générale dans la salle), les scanners rétiniens sont placés aux endroits les plus incommodes (sur un train en marche par exemple), et sacrilège ultime, les messages refusent de s'auto-détruire convenablement. Mais où va le monde ma bonne dame. Ces petits détails, entre hommage et irrévérence, paraîtront familiers aux amateurs des Indestructibles, et l'on sent vraiment le réalisateur évoluer dans cet univers avec un bonheur communicatif. Même conscient de la supercherie du scénario (un habile MacGuffin tressé de manière à enchaîner les scènes d'action et les destinations exotiques), on ne peut que sortir de la salle avec un sourire béat aux lèvres et le cerveau à la limite de la déconnexion. Les intégristes de la série se sentiront trahis (à juste titre), mais les autres auront le droit de trépigner, engloutir des poignées de pop-corn et prendre du plaisir décomplexé devant ce blockbuster/actioner totalement assumé.

Des regrets ? Oui, forcément. Pour son premier long-métrage live, Brad Bird ne signe pas un film aussi personnel qu'il l'aurait voulu, parasité par une production qui ne lui laissera pas les coudées franches et par un Tom Cruise qui persiste encore à vouloir exhiber sa carrure au monde entier après 30 ans de carrière. En résulte une première partie où tout le génie du réalisateur éclate sans retenue, suivie d'une seconde partie (l'arrivée à Dubaï) beaucoup plus lisse, conventionnelle, et donc forcément moins intéressante. Et puis j'en ai déjà assez parlé, mais il y a aussi ce scénario pas franchement génial, quand bien même tourné en dérision. Ceci dit, une fois dans le film, ces petits soucis paraissent mineurs et l'on prend un véritable plaisir à regarder Tom Cruise faire des cabrioles ou Simon Pegg tapoter sur son ordinateur et faire le clown. Peut-être pas aussi bon que le premier Mission: Impossible, mais tout aussi intéressant en tout cas, et à regarder avec une bonne dose de second degré. Faites-vous ce petit plaisir, laissez votre sérieux au vestiaire en entrant dans la salle.
HarmonySly
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le 14 déc. 2011

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