Adapter le fabuleux roman d'Herman Melville n'était pas chose aisée car c'est un roman chargé de symbolique qu'on lit souvent comme un roman d'aventure, et trop jeune pour bien le comprendre. Or, je l'ai lu étant jeune adulte vers l'âge de 20 ans ; l'intrigue est volontairement allégorique et surprit les lecteurs de son époque de parution en 1851.
Tour à tour christique ou luciférienne, la baleine blanche est à la fois une créature rédemptrice ou une créature des enfers qui entraîne les humains vers leur chute. Cette ambivalence habite totalement le capitaine Achab, héros torturé et complexe de ce récit. C'est une allégorie très manichéenne, où la lutte du Bien et du Mal fustigent l'orgueil et le désir de vengeance ; cette approche aux références bibliques a été bien conduite par John Huston qui y voit dans l'obstination d'Achab une ambition blasphématoire, où son héros ivre d'un désir de puissance, se prend pour une entité humaine qui tente de contrer le Divin, c'est un véritable défi à Dieu. Etrangement, Huston a co-écrit le scénario avec Ray Bradbury, célèbre pour ses romans de science-fiction.
Huston réussit une splendide adaptation de ce roman mythique qui avait déjà fait l'objet de 3 adaptations en 1926, 1930 et 1931. C'est aussi un beau film d'aventure tout simplement, plein de grandeur et de profondeur, bien servi par un casting de grande qualité : Richard Basehart dans le rôle d'Ismaël, narrateur et observateur de ce récit, Leo Genn, Harry Andrews, Bernard Miles, Orson Welles (dans une belle scène de sermon au début du film), et bien sûr Gregory Peck qui campe un Achab très juste, un brin halluciné. Pourtant, sa prestation avait été vivement critiquée à l'époque par les admirateurs du roman qui lui reprochaient son incapacité à restituer toute la dimension du personnage.
Dans son autobiographie, Huston le défend, même s'il avait prévu au départ d'engager son propre père Walter Huston (qui aurait sans doute été trop âgé pour le rôle). Moi je trouve que Peck est très convaincant, en évitant trop de grandiloquence qu'on pouvait peut-être attendre du personnage, c'est en tout cas un de ses meilleurs rôles. Huston relate aussi que ce film fut son tournage le plus difficile et le plus éprouvant, avec cette fausse baleine en carton-pâte de 30 m de long, tractée par un remorqueur ; le Pequod est la réplique d'un authentique baleinier qui a été rudement secoué pendant le tournage. Certes, on voit que ces effets spéciaux ont un côté rudimentaire et artisanal, mais pour l'époque, je les trouve pas si mal, et c'est ce qui ajoute un charme kitsch à cette quête mystique, furieuse et désespérée. Un film à voir absolument.