Achab, capitaine d'un baleinier, s’aventure en mer pour traquer la grande baleine blanche légendaire : Moby Dick.
Œuvre-monstre, œuvre-monde
On le sait ou on ne le sait pas, Huston est un amateur de littérature éclairée et un adaptateur aguerri de grands ouvrages complexes. Il était donc logique que le réalisateur adapte pour le cinéma cette œuvre-monstre qu’est Moby Dick.
C’est une occasion parfaite de retoucher à sa thématique favorite « l’échec », car Moby Dick demeure la matière idéale pour narrer une aventure sur l’âme humaine et y chercher ce qu’est réellement le sens de la vie à travers un défi prométhéen. Cette interrogation tragique est illustrée par le capitaine Achab. Un personnage shakespearien dont l’obsession du défi n’a d’égal que son tempérament blasphémateur. Face à lui, le symbole fort de la grande baleine blanche, le Dieu destructeur qui vient tester l’Homme dans sa foi et sa détermination, l'allégorie parfaite de la Nature vengeresse. John Huston déclarait d'ailleurs : « Achab est en guerre avec Dieu. Il considère la divinité comme un être malveillant qui erre en tourmentant la race des hommes. »
Un huis clos sur mer
On pourrait s’arrêter là et constater que Huston a coché toutes les cases d’une adaptation réussie. On pourrait dire naïvement que l’essentiel est là, mais le réalisateur s’est aventuré au-delà de son exercice déjà difficile. Mettre en images aussi admirablement une thématique si complexe était déjà brillant, lui donner un sens de l’épique aussi unique relève de la prouesse. Car au cœur de cette épopée, Huston parvient à capter la charge émotionnelle des corps pour refléter les sentiments de l’âme. A l’instar du nombre important de plans sur l’abysse de folie présent dans le regard du capitaine lors d’un moment de tension, ou encore dans cette manière de capter les visages décatis des femmes qui se chagrinent pour leurs époux.
Bien sûr, le métrage prend son rôle de film d’aventure au sérieux lors des séquences de chasse. Le navire, l’océan, les hommes, les barques, et la baleine forment ensemble un théâtre d’affrontements. Un véritable huis clos sur mer où le personnage de Achab devient un être puissant et envoûtant. Là encore, les scènes sont très shakespeariennes, et le voir enfoncer des harpons dans la créature en hurlant des imprécations donne un sens de l’épique époustouflant tout en évitant le ridicule.
Au cœur de l'océan
Mais que se cache-t-il vraiment derrière ce film d’aventure ? A mon sens, toute la valeur moderne du métrage repose sur sa façon de scinder son histoire en trois axes : l’aventure, la réflexion philosophique, et même un aspect documentaire.
C’est un cachet d’authenticité qui mêle équitablement des caractéristiques réalistes et surréalistes. La scène d’ouverture figure parmi ces coups de théâtre qui nous font prendre le large d’une manière très immersive derrière un simple écran, le mysticisme qui suinte de l’aura de la créature donne un ton unique à cette œuvre, enfin la chasse à la baleine nous propulse au cœur d'une ambition documentaire. Aborder Moby Dick à la limite de la mythologie, du fantastique, et du réalisme permet au film d’être une remarquable adaptation du roman. Même si à l’époque cette vision très particulière fut assez controversée.
Conclusion :
D’une intelligence scénographique rare, Huston offre une œuvre digne des meilleurs films d’aventures. C’était un exercice fou de réaliser l’adaptation aussi complexe d’un ouvrage aussi célèbre, mais le réalisateur parvient à remporter son pari. Références bibliques, thématiques sur l’âme humaine, la quête de soi, tous ces éléments sont admirablement traités à travers ce défi prométhéen qu’est la traque de la légendaire baleine blanche.
Mais la Foi, comme un chacal, se nourrit parmi les tombes
et c'est même de nos doutes au sujet de la mort
qu'elle tire ses meilleures raisons d'être.