Après une dispute avec son amie Gloria qui lui reproche de ne rien faire de sa vie, George Matthews, architecte de 26 ans au chômage traverse Los Angeles afin d'emprunter de l'argent à ses amis pour payer son crédit automobile. Au détour d'un garage, il rencontre "Lola", femme mystérieuse dont il tombe amoureux.
Si les errances de George Matthews (Gary Lockwood) au volant de sa MG vous rappelle quelque chose alors il se pourrait bien que ce souvenir tenace soit rattaché à "Once upon a time... in Hollywood". Il est fort probable que le plaisir occasionné par "Model Shop" soit décuplé si celui-ci est découvert en aval du dernier opus de l'auteur de "Pulp Fiction". Même sentiment de liberté au volant d'un magnifique bolide sous le soleil de la cote ouest, même portrait de L.A. et surtout même contexte politique puisque nous sommes en 1969, année d'investiture de Richard Nixon. Mais si le film de Demy acquiert une plus-value lors d'un visionnage couplé à celui de Tarantino, sa redécouverte tardive le classe parmi les films américains les plus emblématiques de la fin des années soixante.
De la Nouvelle Vague...
Perdu quelque part entre la jeunesse libre de toute contrainte du "Lauréat" de Mike Nichols et la nonchalance poétique de "Macadam à deux voies" de Monte Hellman, "Model shop" prend avec force et tranquillité l'identité du "Nouvel Hollywood" en y glissant, avec un certain tact, les grandes lignes de ce qui compose "La Nouvelle Vague". Transposer le mouvement franco-français né de la plume de Françoise Giroud dans l'Express à l'aune du second âge d'or Hollywoodien démontre (avec le recul nécessaire) à quel point l'oeuvre de Jacques Demy se pose à la fois comme LE lien indéfectible de deux pans de l'histoire du cinéma mais aussi comme un portrait sociétal de jeunes adultes pris dans les tenailles du mouvement hippie et de la guerre du Vietnam. Choisir entre la fleur et le fusil, le contexte socio-politique américain n'aura jamais aussi bien collé aux attributs de "La Nouvelle Vague" avec son jeune oisif de 26 balais en quête d'un Amour impossible. Le statut précaire de George Matthews et son incapacité (ou refus) d'entrer dans le moule des conventions rappelle en pointillé celui de Michel Poicard (Jean Paul Belmondo) dans "A bout de souffle" ou Antoine Doinel (Jean Pierre Leaud) dans "Les Quatre cents coups". L'envie de vivre à toute vitesse au rythme d'une inévitable fuite en avant tout en sachant que le bonheur est fugace a cette saveur bien connue des adorateurs de Chabrol et consorts. Et c'est dans "ce respect" d'une jeunesse sacrifiée sur l'autel d'un mouvement culturel riche en expérimentations physiques ou scénaristiques que Demy "charge" son héros d'une personnalité aux antipodes de ce que la culture ou des usages imposent. Ainsi, George se verra tenté par les femmes plus âgées (l'accent frenchie de Anouk Aimée ajoutant un zeste d'exotisme à la panoplie de la girl next door) à l'inverse du fantasme de la californienne à la peau satinée. Son véhicule vintage en opposition aux larges Buicks et Chevrolets de l'américain moyen qui peuplent le Downtown. Le refus d'épouser la mouvance vestimentaire ou comportementale hippie de ses amis. Tout un processus d'écriture qui refuse constamment de brosser le portrait d'un personnage servile dans une matrice programmée par les obligations et responsabilités du monde adulte. George Matthews pourrait ainsi paraitre aux yeux du spectateur comme le parfait branleur. La posture inactive s'y prête mais elle peut aussi bien être interpréter comme une envie de cultiver sa propre individualité sans avoir à se plier au conformisme ou a une image modèle. Le frère de George est, à ce titre, ce fameux modèle de soldat représentatif de "l'Américan Hero" et fierté d'une famille ultra conservatrice. Une attitude qui ne manquera pas de laisser George perplexe lors d'un échange où il apprendra sa future mobilisation pour le Vietnam.
...au Nouvelle Hollywood.
Moteur du Nouvel Hollywood, la Nouvelle Vague aura frappé de son sceau "Model Shop" qui influencera à son tour directement ou indirectement les années 70. Si l'on estime que les oeuvres cinématographiques se nourrissent entre elles, le film de Demy est au confluent d'une mutation sociale et culturelle. Le courant hippie irrigue de toute sa sève les motivations de son personnage principal. Et si George Matthews n'arbore pas moustache et jeans évasés, le ton même du métrage se range du côté de la non violence et semble prôner irrémédiablement l'attraction amoureuse et la liberté en tout domaine. Point commun entre les oeuvres de cette nouvelle décennie, la voiture, espace individuel, capable de semer tous les problèmes du moins pour un certain temps. "Model Shop" possède une connection évidente avec "Le Lauréat" mais plus encore avec deux films dont il partage des thèmes communs liés à la jeunesse et à l'évasion.
Le premier, "Macadam à deux voies" de Monte Hellman se présente comme un authentique film de bagnoles mettant en avant une Pontiac Firebird et une Chevy. Seulement la promesse de voir un affrontement entre les deux bolides se soldera par une ode aux passions au profit des belles carrosseries. Changer les codes et prendre son spectateur à revers, une constante que "Model shop" avait déjà dans son ADN. Un film à la limite de l'essai que l'on pourrait qualifier de drame intimiste traversé de ballades rythmées de morceaux de musiques classiques. Toutefois, contrairement à "Macadam à deux voies" qui mettait en scène une compétition que l'on ne verra jamais, Demy imprime la rétine du spectateur au point de presque lui faire croire que le véhicule est l'élément central. Un fétichisme de l'auto qui resserre encore un peu plus le lien du jeune adulte à "sa machine".
Si le film de Hellman emprunte au spleen et à la poésie ambiante de "Model Shop", le second, "Point limite zéro" de Richard Sarafian en serait son pendant musclé. Dans ce classique sorti en 1971, Kowalski (Barry Newman) ex-flic accepte de relier Denver à San Francisco en un temps record au volant d'une Dodge Challenger blanche s'attirant au passage la sympathie du peuple mais aussi la haine de policiers incapables de mettre la main sur ce pilote hors-normes. Si l'on retire la chevauchée sauvage à travers les régions désertiques, le film de Sarafian partage avec celui de Demy le concept d'une temporalité étriquée (on parle de films qui se déroule en 15 et 24 h seulement) mais aussi l'envie de semer les autorités ou les obligations financières. Les médias et les rencontres féminines restant des contacts extérieurs positifs permettant de garder le cap.
Dans un contexte politique aussi marqué par la guerre du Vietnam et le flower power, "Model Shop" baigne dans un rayonnement cinématographique d'une ampleur inédite. Demy offre à ceux qui le voudront bien, un magnifique geste d'artiste annonçant une décennie comme le cinéma n'en vivra plus.