Crescendo émotionnel très progressif, Model Shop part d'un charme doux, (toujours aussi peu d'agressivité chez Demy) pour gagner en émotion, transportant en route les blessures et les espoirs d'une Amérique en train de changer de peau en cette fin de guerre du Viêtnam.
Aussi désespéré qu'espérant, George Matthews se meut entre ces deux humeurs, fait connaissance avec la peur de la mort et avec l'amour conjointement (avec la nécessité d'aimer en tout cas).
Le film réussit à joindre des personnages à la fois réalistes (Gary Lockwood en particulier, d'une aisance impeccable)n représentatifs du lieu qu'ils arpentent, et rêveurs, et des personnages oniriques (Anouk Aimée), pris dans divers strates de temps, élargis par leur appartenance à d'autres films, et devant gagner leur vie.
Un film simple dans lequel la douleur finit par s'enlacer à une sorte de joie psychédélique qui convient parfaitement au cinéma de Demy, à sa douce mélancolie, et cette grâce qui affleure en permanence des mouvements de ceux qui vivent nonobstant les blessures, qui gardent le désir d'avancer et de construire en paix. Un petit regret technique tout de même : deux ou trois mouvements de caméra ont parfois moins de souplesse (que dans Lola, par ex.) : le plan d'ouverture, les déambulations dans la rue ou dans le couloir du Model Shop méritaient une fluidité (et peut-être quelques prises de plus).
Quoi qu'il en soit, Model Shop clôt parfaitement les années 60 pour Demy, sa comédie humaine, le film prend même certains traits antonioniens, autre grand peintre de la jeunesse des années 68-70s. Un moment, on peut même imaginer qu'une des fins possibles soit, comme dans l'Éclipse, un Model Shop vidé de la présence de Lola et de George, ni l'un ni l'autre n'étant venu au rendez-vous promis. Nous ne serons pas loin d'un tel dénouement, qui laisse Lola repartir dans les rêves d'autres films (qui ne se feront pas) et qui se recentre sur le personnage masculin, repris du désir de vivre et d'aimer.