C'est dix jours après sa sortie que j'ose enfin me rendre dans une salle pour voir le dernier film de Ken Loach et accessoirement Palme d'or 2016 au festival de Cannes. Mon attente étant grande, j'ai préféré prendre mon temps, surtout que le sujet avait l'énorme capacité de me soutirer quelques larmes, puis de me donner envie de brûler un pôle emploi.
Moi, Daniel Blake est un film profondément humain. Ken Loach a 80 ans, un âge où la plupart des personnes ont perdu l'envie de se pencher sur la déshumanisation de notre société. Mais, il ne semble pas avoir envie de fermer les yeux sur ceux qui se battent chaque jour contre la pauvreté, qui veulent s'en sortir mais se retrouve face à une administration plus prompte à les sanctionner, qu'à les aider. Il avait pourtant annoncé sa retraite après Jimmy's Hall, sauf que le monde ne tourne toujours pas rond et qu'il ressent le besoin de nous faire partager le quotidien de ceux qui vivent dans la précarité, car comme eux, il ne veut pas baisser les bras.
On va faire la connaissance de Daniel Blake (Dave Johns). Son cœur ne lui permet pas de reprendre son travail, mais l'administration n'est pas d'accord avec son médecin. Une aberration parmi tant d'autres, qu'il va devoir affronter. Au premier abord, on a l'impression qu'il va s'en sortir. Il a la volonté et un fort caractère pour ne pas se laisser bouffer par le système, sauf que la société a évolué et pour un homme proche de la retraite, son informatisation devient vite un obstacle. Il se retrouve aussi face à la privatisation du pôle emploi version britannique, qui fait tout son possible pour ne pas indemniser les demandeurs d'emploi, en les submergeant de paperasse et d'exigences farfelues (comment peut-on justifier 35h de recherche d'emplois chaque semaine?). On découvre en sa compagnie, l'incohérence et la perversion de ce fonctionnement, mais l'empathie n'est pas encore au rendez-vous.
Elle va faire son apparition sous les traits d'une mère célibataire (Hayley Squires), se retrouvant aussi en conflit avec cette administration. Elle est touchante, tout comme ses deux enfants Daisy (Briana Shann) et Dylan (Dylan McKiernan). Daniel est seul depuis le décès de sa femme et sa rencontre avec cette jeune femme, va combler une absence chez chacun d'eux. Cette entraide se retrouve auprès de ses voisins, où la débrouillardise est devenue une nécessité pour survivre. Car on parle bien de survie et non de vie. Les débuts de mois sont difficiles, alors les fins de mois.... Le frigidaire n'est jamais rempli et se rendre dans une banque alimentaire, cela demande de mettre sa fierté de côté et ce n'est pas si évident. Cette fierté qui est constamment mise à mal par l'administration, la société et le regard des autres. A force, elle finit par s'éteindre et cela se voit dans leurs regards. Dès cet instant, on accepte des choses dont on aurait jamais crû devoir faire pour nourrir les siens. La vie devient un combat, dont on en sort à chaque fois perdant.
Ken Loach filme ses personnages en évitant le pathos. Il montre, plus qu'il ne juge, en laissant le soin aux spectateurs de se faire sa propre opinion. Bien sur, il prend parti en se mettant du côté de Daniel Blake et de ceux qui sont autour de lui. Son oeuvre n'est pas constamment dans le drame, elle est comme la vie de chacun, ponctué de rires et de larmes. On s'attache à eux, on les suit dans ce parcours difficile pour retrouver une certaine dignité. On est ému face à la détresse de cette mère célibataire, où devant son fils reproduisant les gestes de Daniel. Il forme une famille, avec ses hauts et ses bas. Ce sont un visage de différentes générations, où chacune se retrouve dans la précarité, avec aussi le regard des enfants comprenant la difficulté de leur mère, mais souffrant en silence pour ne pas en rajouter, tant la situation est déjà éprouvante.
Le film est une belle palme d'or, dans la lignée du plus brut La Loi du Marché. Le cinéma social est toujours vivant, Ken Loach en est son étendard et on est bien content qu'il n'est pas pris sa retraite.