La vie et la carrière de Tonya Harding,championne américaine de patinage artistique des années 80-90,surtout restée dans l'histoire pour avoir été accusée d'être la commanditaire d'une agression physique sur la personne de sa principale concurrente Nancy Kerrigan.L'Australien Craig Gillespie frappe un grand coup avec cette évocation d'une figure éphémère et très controversée de la fin du 20e Siècle.Sur un scénario habile et tendu de Steven Rogers,également coproducteur avec la vedette du film Margot Robbie,il développe une histoire rythmée basée sur un système de flashbacks illustrant les déclarations face caméra des protagonistes vieillis qui proposent tous des versions contradictoires des évènements.Ce pourrait être fouillis mais la narration de Gillespie,bien secondé par la monteuse Tatiana Riegel,est claire,rigoureuse,et ne nous perd jamais en route.Se déroule donc le destin d'une gamine pauvre de Portland passionnée depuis son plus jeune âge par le patinage.Son talent précoce la porta vite en haut de la hiérarchie ricaine,puis mondiale,mais sa vie personnelle difficile,ses origines modestes et son intelligence très moyenne l'empêcheront d'avoir la carrière qu'elle méritait.Les auteurs prennent nettement parti pour Tonya,présentée comme une victime et non une coupable dans cette affaire.Pour le grand public,il s'agissait d'une salope déloyale qui,incapable de gagner sur ses seules qualités,avait fait casser les pattes de sa rivale.Si l'on en croit le film,très documenté,ça ne se serait pas tout-à-fait passé comme ça.On n'est bien sûr pas obligé d'adhérer à cette version,mais elle semble crédible.On est en 94,les J.O. de Lillehammer approchent et les filles s'entraînent dur,chacune de leur côté.Tonya reçoit une lettre de menace et son mari Jeff Gillooly,un abruti de première,pense que ça vient du clan Kerrigan et imagine de faire la même chose à Nancy.Il en parle à son épouse,qui s'en fout car elle a du taf sur la glace.Elle lui dit de faire comme il veut,et là ça dérape car Jeff sous-traite le problème à Shawn Eckhardt,son meilleur ami.Sauf que Shawn est un taré absolu qui se vante partout d'être une sorte d'agent secret qui aurait monté des coups tordus aux quatre coins du Monde alors que c'est un minable,un gros lard qui vit chez ses parents et n'a jamais quitté Portland.Le gars dit qu'il faut envoyer la lettre depuis un autre Etat,car si c'est affranchi à Portland on saura tout de suite d'où ça vient.Jusque-là c'est pas bête,mais le James Bond de pacotille prend ensuite l'initiative,sans en aviser Jeff,d'ordonner un bastonnage en règle de miss Kerrigan,solution plus radicale qu'un simple courrier.Il recrute pour ça une paire de demeurés qui vont saloper le boulot consciencieusement.Les mecs attaquent Nancy en plein jour,dans la patinoire où elle s'exerce,avec plein de gens autour et sous l'oeil des caméras de surveillance.Evidemment ils sont vite arrêtés,ils balancent Shawn,qui balance Jeff,qui balance Tonya,effet domino garanti.Et voilà comment la championne,qui n'est à peu près pour rien dans cette histoire,se retrouve sous les feux des médias ravis d'une telle aubaine.Elle se prend un gros shitstorm dans la gueule,d'autant que la presse faisait déjà depuis longtemps ses choux gras de l'opposition factice Harding-Kerrigan,deux visions antagonistes de l'Amérique.La gentille contre la méchante,la blonde vulgaire contre la brunette distinguée,la bad girl anticonformiste contre la classique bien lisse,même si en réalité Nancy était aussi issue d'un milieu modeste.Tonya ira quand même à Lillehammer mais,déstabilisée par tout ce bazar,elle se loupera complètement et finira huitième alors que Nancy,finalement pas trop amochée,gagnera la deuxième place.Le retour des Jeux achèvera la pauvre fille car la procédure a suivi son chemin,et elle sera radiée à vie de la Fédération des sports de glace.Un fameux gâchis.Au-delà du fait-divers,c'est un portrait de la société US qui nous est exposé.Harding est du mauvais côté de la barrière et présente toutes les tares de l'Amérique des perdants.Famille éclatée,mère monstrueuse,pauvreté,petits boulots mal payés,mariage trop jeune et raté,si elle n'avait eu ce don et cette passion pour le patinage,personne n'aurait jamais entendu parler de cette pauvre fille.C'est une victime,battue par sa mère,battue par son mari,elle est habituée à prendre des coups et trouve presque ça normal,c'est ce qui se fait dans son milieu.Son talent sur la glace va la sortir de la lose mais la malchance la poursuit.En effet,elle s'adonne à un sport qui ne correspond guère à sa personnalité.Si elle avait été douée pour l'athlétisme ou le basket,ça aurait pu le faire,mais elle n'a pas les codes pour être acceptée dans le milieu élitiste du patinage,sport de riches comme peuvent l'être le golf ou l'équitation.Trop miséreuse,trop peu cultivée,trop grande gueule,trop mal habillée,trop fumeuse et fêtarde,trop anticonformiste,notamment dans le choix des musiques de ses programmes,elle est tout juste tolérée grâce à son talent dans cet univers peu adapté aux prolos de l'Oregon.Et on lui met des bâtons dans les roues car l'artistique est un sport subjectif.Il y a des juges,qui attribuent les notes qu'ils veulent.Et si une concurrente ne plait pas,elle peut être sanctionnée même si c'est la meilleure,car le contexte tient compte autant des apparences que de la performance sportive,comme en témoigne la terrible scène lors de laquelle Tonya,ulcérée par un énième classement décevant,parvient à questionner un des juges en le prenant à part.Le mec a un peu pitié d'elle et lui avoue,tout en précisant qu'il ne répéterait pas ça en public,qu'elle est effectivement sous-notée à cause de sa façon d'être.Ce film permet donc de mieux comprendre ce personnage et cette histoire,tout en brossant un tableau pertinent de l'Amérique des nineties et en restant divertissant de bout en bout.Margot Robbie effectue une énorme performance dans le rôle principal,faisant totalement corps avec son personnage.Dommage toutefois qu'elle et Sebastian Stan jouent Tonya et Jeff adolescents,c'est moins flippant que Valérie Lemercier en Céline Dion enfant mais ça ne marche pas du tout.Stan justement est très bon en gommeux à moustache stupide et brutal,qui gardera hélas longtemps une emprise sur sa femme,jusqu'à provoquer sa chute.Allison Janney est glaçante dans le rôle de LaVona,la "maman modèle",qui sera ignoble jusqu'au bout,voir la révulsante scène de la dernière visite à sa fille.Incroyable prestation également de Paul Walter Hauser,dans un rôle proche de celui qu'il tiendra dans "Le cas Richard Jewell",mais en bien pire car Eckhardt surpasse de loin la mythomanie de Jewell et n'a ni son intelligence ni son sens moral.Julianne Nicholson en coach de Harding et Bobby Cannavale en journaliste à scandale rapace sont excellents,et McKenna Grace,qui joue Tonya petite,prouve une fois encore qu'elle est une des meilleures actrices-enfants qu'on aie vu sur un écran.Note et critique de films de Craig Gillespie publiées précédemment:"Cruella"-6.Moyenne:7.