Curieux destin que celui de Robert Siodmak, grand cinéaste de films noirs (mais pas que). Né aux USA au début du XXème dans une famille juive qui va s'installer en Allemagne. Quelques années plus tard (années 30), c'est la fuite et le retour aux USA avec une étape française au cours de laquelle il réalisera quelques films dont "Mollenard" en 1938 avant son départ.
"Mollenard", c'est un film qui décrit l'histoire d'un commandant de navire de commerce, un forban haut en couleur, qui profite des voyages lointains pour s'y adonner au trafic d'armes au grand dam de la compagnie qui l'emploie, soucieuse de respectabilité. Il est marié avec une dunkerquoise de haute réputation bourgeoise et bigote qui ne supporte plus l'amoralité et les extravagances de son époux. Bien entendu, c'est réciproque, lui, ne supporte plus ces convenances hypocrites et n'hésite pas à ruer dans les brancards.
Le scénario oppose deux conceptions de la vie diamétralement opposées et les traduit de façon plutôt manichéenne à travers les comportements de deux acteurs de talent.
Harry Baur, avec sa faconde, face à Gabrielle Dorziat, aigrie et acariâtre. Evidemment, c'est Harry Baur qui emporte la mise pour le spectateur car au delà de sa personnalité de forban de grande gueule, il est solidaire de ses hommes qui l'adorent et se feraient tuer pour lui. Chaque fois qu'il arrive quelque part, c'est la fête... Son retour à Dunkerque est salué par des fanfares qui entonnent le chant local - incontournable - "Dors min P'tit Quinquin, min p'tit Pouchin ..."
Gabrielle Dorziat a le rôle ingrat qu'ont toujours les gens sérieux ou responsables soucieux d'élever des enfants, soucieux des bonnes convenances. C'est vrai que ces gens-là sont moins fun et souvent un peu ridicules. Mais le rôle de Gabrielle Dorziat ne se résume pas qu'à ça. C'est la femme de caractère qui n'hésite pas à se battre et à tenir tête et les dialogues entre Harry Baur et Gabrielle Dorziat sont souvent très savoureux.
La mise en scène de Gabrielle Dorziat par Siodmak présente quelques petites subtilités qui rehaussent l'image de l'actrice dans l'esprit du spectateur. Je pense à une scène où le commandant Mollenard, affaibli, regarde sa femme dont il a, maintenant, besoin. Le visage de Gabrielle Dorziat s'éclaire soudainement derrière sa voilette et quitte son air revêche pour un air adouci et tendre comme si sa femme redevenait l'épouse des débuts.
D'autres scènes intéressantes sont la relation entre le commandant et sa fille qui exprime de l'affection pour son père en cachette. Et puis le final entre le commandant et son équipage est magnifique.
Du casting, on peut souligner la qualité des seconds rôles avec Pierre Renoir dans le rôle d'un trafiquant, Albert Préjean dans le rôle du fidèle second du commandant, Marcel Peres dans le surprenant rôle d'un matelot, Dalio dans le rôle (habituel chez lui) de l'infâme traitre.
Ce n'est pas ce que j'appellerai un chef d'œuvre mais un bon film bien construit et intéressant.
La copie présentée dans le DVD n'est pas très bonne nuisant à la bonne appréciation. Le film mériterait une sérieuse étape de remasterisation.