Une vision glauque et glaciale du cercle hitlérien. Les plus hauts dignitaires nazis y semblent tous hors des réalités, apparemment pour mieux y maintenir le Führer. On n'est pas obligé d’adhérer totalement à ce point de vue mais force est de constater qu'il n'en est pas moins saisissant. Il montre bien à quel point la folie peut tout consumer, malgré sa bonhomie apparente, dès qu'elle entre en relation avec le pouvoir. Le personnage mystérieux, forcément tragique, qu'est Eva Braun est particulièrement mis en valeur dans ce film et apporte un regard nouveau sur le chancelier du IIIe Reich. Il rend Hitler aussi vulnérable que terrifiant, pathétique que sinistre ; tel un enfant par trop cruel, terré qu'il est dans son repaire alpin.
La brume et le Führer
Malheureusement le film se perd dans son atmosphère éthérée et malsaine, n'ayant souvent pas grand chose d'autre à proposer une fois la folie dissociative des puissants de ce régime gangréné montrée. Une grande partie de son intérêt réside dans le contraste entre ce que montre ce film et l'image de la Seconde Guerre mondiale, telle qu'elle nous est restée, et forcément plus triviale que les élucubrations de quelques déments ou cyniques au milieu des Alpes bavaroises. Cette vie banale, calme, ennuyeuse, champêtre même, est bien évidemment en totale contradiction avec les images de bombardements et de massacres qui nous restent de ce terrible conflit.
Une question reste cependant posée, en suspens ; mais qui est Adolf Hitler ?
Je n'apprendrai à personne qu'il est certainement l'un des personnages historique parmi les plus connus, et les plus haïs. Mais il est rarement de telles conceptions aussi ambivalentes autour d'un personnages historique aussi récent. Certains le voyaient comme un fou, un dément ayant entrainé le peuple allemand vers les plus sombres abysses. D'autres comme un dangereux toxicomane, gavé d'amphétamines et rendu ivre par le pouvoir. Il est même parfois considéré comme un parfait et pernicieux cynique, conscient de ses actes et de leur conséquences. Tous s'accordent cependant sur son antisémitisme maladif, ô héritage séculaire, et les idéaux totalitaires de l'homme et du parti.
Tanit, rate
Sauf que Sokurov le voit comme un homme, simplement. Il le désacralise et nous le fait voir à travers la relation toxique qu'il entretient avec Eva Braun. Néanmoins il reste Moloch et elle, son sacrifice. Ainsi est esquissée sa fin tragique. Il ne faut pas se leurrer, si le film s'intéresse à la compagne d'Hitler, elle reste un écran transparent. On ne s'intéresse à Eva Braun seulement parce-qu'elle a choisi de se lier au diable. Il est d'ailleurs intéressant de voir comment cet homme, forcément ancré dans le réel, a supplanté la représentation initiale du mal dans l’imaginaire collectif. Le glissement s'est finalement fait progressivement. Satan est passé au fil des siècles du statut d'être réel et menaçant tel une épée de Damoclès spirituelle, promettant les âmes aux supplices de la Géhenne, à celui de symbole, d'allégorie, ne faisant que représenter le mal, sans plus l'incarner. La Seconde Guerre mondiale n'a fait que recadrer la représentation du mal, l'inscrivant comme un élément purement humain et de fait bien plus rationnel.
Mais l'Homme reste ce qu'il est et nimbe ce mal d'un mysticisme presque religieux, perdant le bénéfice du rattachement au réel. L’atterrissage est difficile : il n'y a pas de tel retour sans heurts.
Cet homme est peut être faible, mortel mais dispose du pouvoir. Le mal se trouverait donc dans son abus, dans l'ivresse qu'il procure et la folie qu'il exalte. Eva s'est finalement liée au pouvoir, aussi ridicule que puisse être celui qui le détient. En effet la représentation de l'homme le rend pathétique ; entre ses incohérences, ses névroses et ses colères capricieuses pointe l'incroyable aveuglement, autant savamment calculé que d'une innocence désarmante, du reste des haut dignitaires du régime.