Je suis dingue du taff de Alexandre Sokourov, et j'avais fait exprès de garder la fameuse tétralogie du pouvoir (Moloch, Taurus, le Soleil et Faust) pour plus tard. Aucun regret, aucune déception, Moloch a largement mérité sa réputation de grand film.
L'ouverture est sublime et on identifie immédiatement la patte de Sokourov : une femme nue sur une tour au-delà des nuages, l'image est brumeuse et floue, on en discerne à peine les contours. Et on comprend rapidement que cette femme n'est autre que Eva Braun. Elle guette l'arrivée de son amant, Adolf Hitler, qui rejoint rapidement le mystérieux manoir. L'esthétique de Sokourov tend toujours à développer un univers onirique et élégiaque. Dans Moloch, c'est la Nomenklatura nazie abritée dans une forteresse qui forme une espèce de microcosme quasiment irréel. Tout le film semble décrire un entre-deux mystique refermé sur lui-même. Mais l'ombre du temps plane sur ce petit monde.
C'est d'ailleurs peut-être ce qui rapproche Alexandre Sokourov de Andrei Tarkovski (dont il fut l'élève), malgré tout ce qui peut les séparer. Les deux russes sont des cinéastes du Temps. Les plans durent chez ces deux grands auteurs et ils ne durent pas gratuitement. Parce que chez Sokourov comme chez Tarkovski, l'image ne vaut jamais que parce qu'elle s'inscrit dans le temps, qu'elle y mature, et qu'elle y prend son essence. Dans Moloch, le temps marque par sa présence comme par son absence apparente. Précisément, Hitler et sa bande y sont représentés dans leur trivialité, dans la constance d'un moment agréable mais avec la conscience qu'il ne durera pas.
Et c'est pour cela que le film touche parfois au sublime. Et aussi la jolie romance entre Eva Braun et Adolf Hitler, à la fois d'une candeur émouvante et d'un souffle tragique assez glauque et morbide. Bref, une grosse découverte, qui appuie encore un peu plus le génie de Sokourov, décidément pas le dernier des cons.