La une des Cahiers du Cinéma,de Positif,des critiques dithyrambiques,un bouche à oreille monstrueux et une aura incroyable depuis Cannes,ou son prix du jury avait presque des allures de déconvenues tant les rumeurs bruissaient sur son inévitable Palme D'Or,finalement arrachée de haute lutte par le sommeil hivernal turc:n'était ce pas trop lourd à porter pour un Dolan à l'égo déjà suffisamment important,à l'aune de sa jeune et pourtant si prometteuse carrière?

Ce déferlement médiatique ne m'incitait guère à l'enthousiasme,trop craintif d'une grande déception au sortir d'un tel abatage.Et les premiers instants,vifs mais désordonnés,confirmait mes doutes.Langage outrancier et accent peu compréhensible au service d'une mise en place laborieuse déstabilise,pour ne pas dire agace,le spectateur quasi néophyte du cinéaste canadien que je suis.On y retrouve alors le maniérisme assez pompeux de son premier film,usant et abusant de ralentis douteux et d’auto-complaisance sur la trajectoire de ce gamin perturbé psychologiquement.Anne Dorval et Antoinne-Olivier Pilon cabotinent à qui mieux mieux et le rythme frénétique voulu par Dolan épuise à force de situations mal maitrisées.Limite misogyne et raciste,le scénario use jusqu'à la corde la maladie mentale du jeune homme de façon abjecte(les insultes répétées à sa mère et la séquence du taxi).Il lui reste alors heureusement à ce moment la un humour,certes inaboutie mais salvateur et un sens de la mise en scène toujours intact.Enfermé dans son dispositif novateur,la mayonnaise reste difficile à avaler.

L'apparition de cette femme mystérieuse,entraperçue jusqu'alors en silhouette furtive et inquiétante,est l'élément narratif majeur du revirement de situation.Le contrôle strict et linéaire de l'ensemble laisse alors la place à une douce folie peu à peu enivrante.L'attitude surprenante de cette voisine,constamment épié et brimé par son marie(du moins le suppose on) contraste avec la liberté destructrice de ce couple dysfonctionnel.Suzane Clément lui confère un charme brut saisissant et oppose un contrepoint apaisant et nécessaire.L'équilibre,fragile mais o combien précieux qui se joue entre ces éclopés emporte le film vers une liberté formelle magnifique.Histoire de corps et de cœurs qui s’apprivoisent,elle raconte avec grâce l'aliénation mentale d'une société qui cache sa folie pour mieux taire la sienne.C'est l'éloge de la différence,libre car indifférente aux qu'en dira on et soucieuse du bien-être de son prochain,soudée et structurée car unie dans la douleur de vivre.Les regards et les étreintes autant que la violence physique et verbale constituent un magma grouillant de vie,au-delà des apparences.

S’affronter,danser(magnifique scène groupée de lâché prise langoureux au son de Céline Dion,bestiale et sensuelle),partager(le rire long et à gorge déployée comme meilleure thérapie pour se défaire de son malheur,moment joyeux et charnière),se tester,se désunir et toujours fuir,s'échapper(à son destin,aux conventions,aux proches....);tout cela participe d'un même élan vital qui n'est jamais aussi grand que quand tout semble désespéré.L'amour fusionnel,indestructible malgrès les circonstances car totalement loyal,est indescriptible et ne saurait s’arrêter aux turpitudes,fussent-elles entravées par des choix contestables.Il nous façonne une carapace protectrice qu'il nous appartient de pouvoir fissurer quand l'opportunité s'en fait sentir.Il en va de notre empathie,synonyme d'appartenance à l'unité.

La pureté des sentiments et sa résonance en chacun de nous,voila le nœud central de l'intrigue que tisse délicatement le québécois.Choisissant la voie détournée,sa méthode irrévérencieuse à de quoi bluffer,habille mélange de fureur chaotique et de compassion bouleversante.Hantés par leurs démons intérieurs,les personnages s'ouvrent petit à petit à d'autres horizons et parviennent,chacun différemment,à tracer un chemin altier fait de bonheurs simples et de doutes infinis,mais se retrouvent liés à jamais par ces instants inoubliables.Musique pop entêtante,acteurs fabuleux(quel plaisir que l'évolution extraordinaire de l'interprétation de Dorval et Pilon,Suzane Clément restant quand à elle splendide tout du long),portraits de femmes d'une rare élégance(visages ridées de fatigue et expressions corporelles las n'auront jamais eu autant de sensualité) et réalisateur inspiré font de cette aventure cinématographique une excellente réussite émotionnelle!

PS:un cinéaste qui finit sa folle farandole libertaire sur le splendide "Born To Die" de Lana Del Rey ne peut foncièrement appartenir qu'à la race des génies.Une telle maitrise du cadre et du son,cela en deviendrait presque suspect!
Sabri_Collignon
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Mon panthéon cinématographique, Les plus belles claques esthétiques, Cinéma à la marge, Les films les plus tristes et Cannes 2014:mes envies

Créée

le 24 oct. 2014

Critique lue 1.4K fois

10 j'aime

7 commentaires

Critique lue 1.4K fois

10
7

D'autres avis sur Mommy

Mommy
HugoLRD
10

Liberté. Claque. Monument.

Je n'arrive pas encore à pleurer. L'état dans lequel j'étais, après cette dernière image époustouflante, ne veut pas s'en aller. Un tourbillon intérieur incroyable, quelque chose de viscéral, qui...

le 27 sept. 2014

174 j'aime

19

Mommy
Clairette02
9

Cause you and I, we were born to die

Dolan, tu as réussi à me faire aimer Céline Dion. Dolan, tu m’as fait verser à peu près 15 litres de larmes en 2h.
 Dolan, tu me ferais presque aimer le mot « tabernacle ». Dolan, tu méritais la...

le 5 oct. 2014

162 j'aime

25

Mommy
Gand-Alf
8

Prisoners.

Prix du jury au festival de Cannes en 2014, Mommy permet à Xavier Dolan d'être le second plus jeune cinéaste à remporter ce prix, juste derrière Samira Makhmalbaf, réalisatrice du Tableau noir en...

le 20 oct. 2015

127 j'aime

5

Du même critique

Benedetta
Sabri_Collignon
4

Saint Paul miséricordieux

Verhoeven se voudrait insolent et grivois, il n'est au mieux que pathétique et périmé. Son mysticisme atteint des sommets de kitch dans une parabole pécheresse qui manque clairement de chaire (un...

le 13 juil. 2021

36 j'aime

Pas son genre
Sabri_Collignon
7

La Tristesse vient de la Solitude du Coeur!

Lucas Belvaux,réalisateur belge chevronné et engagé,est connu pour sa dénonciation farouche des inégalités sociales et sa propension à contester l'ordre établi.Ses chroniques dépeignent souvent des...

le 4 mai 2014

31 j'aime

14

Les Délices de Tokyo
Sabri_Collignon
8

Le Triomphe de la Modestie

Naomie Kawase est cette cinéaste japonaise déroutante qui déjoue volontairement depuis ses débuts la grammaire conventionnelle du 7ème art. Elle possède cet incroyable don d'injecter une matière...

le 11 août 2015

29 j'aime

5