The ballad of love dependency
La surprise est grande dès les premières images, avec un écran aux dimensions carrées (le fameux format 1.1). Gabarit d’un instantané, lumière et fulgurance visuelle à la Nan Goldin (inspiration qui hantera tout le film), la caméra livre un gros plan sur le visage d’une femme, la mère. La symbiose entre l’éclairage aux tons chauds et les poses sensuelles en fait une vraie déclaration d’amour. Reflets de tendresse et de violente passion, des sensations qui seront communes à tout le film. Xavier Dolan prouve une nouvelle fois qu’il est un cinéaste bourré de talent, d’inventivité mais surtout un grand auteur dont l’empreinte s’inscrit durablement d’œuvre en œuvre. A vingt cinq ans et cinq films il atteint ici des sommets de maitrise et de maturité. En filmant la fusionnelle relation entre Steve et sa mère, relation d’une intensité infinie, il s’attaque à un sujet borderline… L’amour doit-il tout excuser ? Et Dolan de se faire, en homme de métier, montreur d’âme, à la limite du photographe, qui cherche en prenant le temps de la réflexion, la meilleure focale, le meilleur plan pour tirer l’épreuve suprême de la réalité qu’il a à l’esprit. Dans ce sens le film est techniquement remarquable. Mais ce qui le différentie d’un bel objet d’art un peu glacé (piège dans lequel il n’est pas tombé), c’est l’émotion. Elle est ici dérangeante, incandescente, sulfureuse, souvent douloureuse et toujours à fleur de peau. Steve l’ado demi-fou, demi-ange (incarné par un Antoine-Olivier Pilon très habité par le rôle) est l’élément révélateur de l’histoire d’une mère, esseulée, perdue. Le retour du fils dans sa vie sera son ultime temps de pose, malgré les turbulences, les difficultés, le bonheur est là à portée d’objectif. « Mommy » est un grand film dramatique, dans le sens noble du terme comme savait les produite un John Cassavetes (on pense fortement à Love Streams d’ailleurs). Il repose sur peu d’éléments scénaristiques et pourtant, il évoque, en 2h30, toute la passion de la vie, bien plus que ne le ferait le genre littéraire. Xavier Dolan y voit son premier film « grand public », il ne s’y trompe pas. Il est impossible, malgré sa forme visuelle et narrative inhabituelle, de rester insensible à cette histoire, à cette beauté d’ensemble, aux jeux de ce trio d’acteur exceptionnel (Antoine-Olivier Pilon bien sur mais à un même niveau la sublime Anne Dorval et la troublante Suzanne Clément en médiatrice des cœurs). On souhaite au film tous les succès, tous les honneurs, mais surtout que son réalisateur nous revienne très vite en nous offrant des émotions cinématographiques et humaines dont seul lui a le secret !