Shôei Imamura doit sa notoriété (au moins chez nous) au fait qu’il fait partie des 9 réalisateurs à ce jour, (avec notamment Francis Ford Coppola, les frères Dardenne, Ken Loach et Michael Haneke), à avoir reçu deux fois la palme d’or au festival de Cannes, pour La ballade de Narayama (1983) et L’anguille (1997). Mais le réalisateur japonais (mort en 2006) faisait du cinéma depuis 1957 et Mon deuxième frère (1959) montre un Japon traumatisé par une période de récession brutale. Nous sommes dans une ville portuaire (2 000 habitants), de l’île de Kyushu dont toute l’activité est centrée sur l’exploitation d’une mine de charbon. Une ville pauvre où un homme vient de mourir, très certainement un mineur logé par son employeur, car à sa mort ses quatre enfants désormais orphelins vont devoir trouver un autre logement. Parmi eux, un garçon et une fille à peine sortis de l’adolescence, puis un garçon et une fille qui vont à l’école. Le lien familial est très fort, malgré des tensions qui se manifestent par une violente dispute entre les deux garçons. Ce lien, c’est tout ce qu’il leur reste après la mort du père. Ils devront malgré tout le sacrifier pour survivre. On mesurera la force de ce lien aux rares occasions où ils pourront se retrouver, même si ce ne sera jamais les quatre ensemble.
Imamura s’attache à décrire la rude vie de ces quatre frères et sœurs, des personnes qu’ils côtoient et d’une communauté mixte (japonaise et coréenne) qui ne peut que subir la récession économique. Beaucoup d’autres mines ont purement et simplement fermé. Le film commence avec la fin d’une grève. Un mouvement dû au fait que la direction est prise à la gorge, équilibre financier gravement compromis. Ainsi, il y a un retard dans le payement des salaires, fait insupportable pour ces gens qui ont du mal à joindre les deux bouts. La reprise du travail est annoncée, ainsi que les mesures négociées. Imamura fait sentir que la voix de la raison ne peut qu’être étouffée dans ces circonstances. Pour la masse des mineurs, la cause de leur malheur ne peut venir que du côté des patrons. Pourtant, le comptable a fait l’impossible pour maintenir les emplois.
Lors de la cérémonie funèbre, une promesse a été faite au plus âgé des garçons. Celui-ci travaille à la mine, malheureusement sans contrat officiel. Quand il s’agit de sauver l’activité de la mine, ces emplois sont les premiers à sauter. Sans ressource, les quatre enfants vont devoir se séparer, les plus vieux allant vers la ville et les plus jeunes hébergés chez Henmi, avec l’espoir de réussir des études leur permettant de se sortir de leur condition. Henmi (nom indiqué par les sous-titres, et non Hemmi comme indiqué par d’autres sources) est un homme mûr qui vit avec sa femme ; les circonstances lui font comprendre la précarité des orphelins et c’est très naturellement qu’il propose d’héberger les deux plus jeunes. Il agit avec tant de spontanéité qu’il s’attire une remontrance de sa femme qui lui reproche de ne même pas l’avoir prévenue. Il n’agit donc absolument pas en ennemi du peuple, lui-même en faisant partie.
Filmé dans un très beau noir et blanc, Mon deuxième frère pourrait n’être qu’un constat social démoralisant. Avec une belle science de la narration cinématographique, Imamura en fait un très beau film où le spectateur ne relâche jamais son attention. Globalement, les mouvements de caméra sont assez simples et souvent à peine perceptibles, mais toujours justifiés. Ainsi, il fait grimper les plus jeunes en haut du terril, pour donner une vue panoramique du village, à un moment où les enfants ont besoin de prendre un peu de hauteur (de gagner en liberté), leur faisant ressentir l’amour du pays, mais aussi le besoin de rêver à un autre avenir. Et il se permet une brève vue plongeante pour montrer les quatre orphelins pour une fois repus, mais suspendus au bon vouloir des autres. Aussi à l’aise pour diriger ses jeunes acteurs que pour filmer des mouvements de foule, Imamura fait progresser son intrigue en enchaînant des plans aux durées relativement courtes. Impression agréable et naturelle pour le spectateur, parce qu’il soigne ses cadrages. Et il fait en sorte de ne pas se cantonner dans des intérieurs. Surtout, il ne se contente pas de montrer ses quatre personnages principaux. Il fait respirer son film en donnant de l'épaisseur à des personnages secondaires comme Henmi ou la vieille femme qui tient les comptes lors des obsèques et qui ne se gêne pas pour affirmer qu’il faut être cupide pour s’en sortir dans la vie, ce qu’elle met évidemment en pratique.
Et puis le film prend toute sa dimension avec la musique qui l’accompagne régulièrement. Une musique dynamique et entraînante qui met en évidence que les enfants sont capables de se réjouir pour un rien. Leurs élans spontanés font plaisir à voir, les retrouvailles des deux plus jeunes par exemple, le plongeon du plus petit dans des circonstances dramatiques. Le même personnage qui encourage son grand frère à monter sur scène pour tenter sa chance à un concours. A cette occasion, le grand frère chante une chanson que les mineurs connaissent par cœur pour la reprendre régulièrement au travail pour s’encourager. On réalise que les chansons, la musique sont un repère pour ces pauvres gens, un repère qu’on observe également lors d’un défilé en ville. La seule occasion semble-t-il où ces gens ressortent leurs beaux costumes traditionnels.
Un peu trop séduisant pour emporter une pleine adhésion, ce film est adapté d’un roman à succès. Petite gêne illustrée par le titre français qui cherche, maladroitement, à faire sentir que par moments, on entend le monologue intérieure de la plus jeune restée avec son deuxième frère. Il est vrai qu’entre les frères et sœurs, ce type d’expression traditionnelle est plus utilisée que leurs prénoms.