Le jeune René vit avec ses parents dans une grande maison blanche située au cœur d’un lotissement ultra-récent, une banlieue pavillonnaire proprette et aseptisée, où le confort et le pragmatisme sont sacrifiés à des fins de "design" et de modernisme. Un monde, et un muret, séparent cet univers et les vieux quartiers résidentiels de Paris, où habite son oncle, Monsieur Hulot.
D’un côté, tout est très calme – seul le bruit de la fontaine à eau vient troubler une quiétude rarement rompue. L’on commande les ustensiles et les portes à distance grâce la magie de l’électronique, même si cela n’est pas toujours très pratique. De l’autre, c’est tout le charme du vieux Paris qui transparait. Au son de l’accordéon, l’on découvre toute une brochette de personnages attachants, du balayeur fainéant et terriblement bavard au vendeur de légumes, en passant par les enfants qui jouent et les adultes qui boivent un verre au café. Dans ce microcosme fourmillant d’activité et bourdonnant de mille et un sons, Monsieur Hulot vit paisiblement au dernier étage d’un petit immeuble.
Toutefois, le mur comporte une brèche, qui permet, occasionnellement, à quelques personnages de passer d’un monde à l’autre.
Dans ce film de 1958, Jacques Tati propose une satire de l’urbanisation massive de la France d’après-guerre, et se moque d’une bourgeoisie de nouveaux riches et de ses travers, sur le ton de la comédie. Il dépeint ici des individus dont le souci unique est le paraître, dont l’expression la plus caractéristique est la mise en marche de la fontaine à eau seulement lorsque l’on sonne au portillon – il ne faudrait pas gaspiller, tout de même.
Le ton du film est léger, et son humour repose principalement sur des situations absurdes, et le personnage de Monsieur Hulot. Incarné par Tati, c’est une sorte de Chaplin à la française, un homme longiligne, au long imper, la pipe au bec et le chapeau vissé sur le crâne. Un peu empoté, maladroit, mais toujours très poli, Monsieur Hulot n’est pas très disert, et semble aussi perdu dans ces lotissements modernes que le serait un personnage de film muet qui se retrouverait brutalement dans un parlant.
Tati oppose à Hulot tout un ensemble de personnages issus de milieux très divers. C’est à mourir de rire lorsque l’on entend pour la première fois la mère de René et sa voisine discuter, dans cette espèce de français un peu désuet et atrocement précieux. Le film est une succession de scènes très drôles, où Tati exploite parfaitement l’absurdité de tous les dispositifs modernes, et d’autres où son oncle emmène René de l’autre côté du mur.
« Mon Oncle » est un film d’une grande finesse, qui, sur le ton de la comédie, propose une satire gentillette de la recherche "d’ultra-modernité" d’une nouvelle classe bourgeoise française, dont les lotissements remplacent peu à peu, mais irrémédiablement, les anciens quartiers. Et puis, le coup du lampadaire à la fin du film est à la fois tellement inattendu et tellement bien amené… probablement l’un des meilleurs moments comiques au cinéma.