Le Roi sommeille, mais il ne dort jamais vraiment. Il se bat pour la garder près de lui, toujours et contre tout le monde, même contre lui-même. Maïwenn montre le quotidien de deux cœurs, barbouillés par la vie, rongés par les larmes, les cris, le silence. C'est son emprise sur elle, c'est son emprise sur lui.
Avant toute chose, je pense que les critiques qui font état d'un Georgio bourreau, tortionnaire de la pauvre Tony parce que c'est un film d'une femme sur une femme font une grave erreur de jugement et attribuent à Maïwenn des bouffées délirantes célinesciamma -nesques. N'y voir qu'une sorte de manipulateur qui utilise constamment Tony pour arriver à ses fins, c'est mépriser totalement sa psychologie qui, si elle n'est pas fouillée à l'aide d'une rééducation inutile, est au moins aussi éclairée que celle de l'héroïne. Même si moins touchante (le film ne tourne clairement pas autour de lui), la psychologie du personnage de Vincent Cassel est très intéressante et profonde, elle relève bien plus du désordre/manque affectif que d'une manipulation primaire sur une pauvre cloche qui se fait avoir dès les premiers instants du film. Mon roi est l'histoire de deux personnes qui s'aiment mais qui ne seront plus jamais en phase. Loin de moi l'idée d'étayer un point de vue purement masculin, je voulais simplement défendre ce qui me semble être la vision qu'a Maïwenn du couple et des hommes en général - du moins à travers ce film, car Cassel n'est pas le seul à les représenter à travers le couple, Garrel semble plus que lucide et totalement libre.
Au-delà de la force du personnage d'Emmanuelle Bercot, qui est décidément bien captivante, il y a une émotion primaire et brutale qui s'éprend de chaque scène du cinéma de Maïwenn. Je crois que ça s'appelle le don, l'instinct, la sensibilité innée et unique. Et comme chaque être plus (et différemment) sensible à son entourage et au monde qu'il côtoie, Maïwenn ne fait pas l'unanimité. De par son cinéma résolument féminin mais pas féministe, on peut tout à fait la comparer à Dolan ou à Campion. L'impact brutal et frontal de l'amour comme Dolan, la solitude et la finesse des sens de la femme de Campion. Le cinéma de Maïwenn est éclatant, beau, dur, conflictuel, vacillant, chancelant, fourbe, éreintant. Il est la fixité et le mouvement en même temps.
Quelques reproches ceci dit. Je trouve que la très talentueuse Emmanuelle Bercot atteint tout de même ses limites lorsqu'elle joue des scènes de folie, je la préfère largement lorsqu'elle combat ses propres démons en silence. J'ai trouvé le présent, c'est à dire les moments de rééducation absolument vains et sans aucune consistance, si ce n'est de nous sortir une psycho métaphorique à deux balles sur "comment se remettre sur pieds et retrouver son insouciance d'antan auprès de petits jeunes". Puis enfin, un détail qui a son importance, la présence de Norman, qui au-delà d'être un mauvais acteur, fait sortir du film.
Et sortir d'un tel film, d'un tel concentré de larmes et de rires à la fois, d'un film qui fait tant écho à notre vécu, c'est un sacrilège que j'ai du mal à pardonner à Maïwenn. Il n'y avait aucun intérêt de le faire tourner dans ce film, c'est contre-productif et ce l'eut été pour n'importe quel autre youtuber ou acteur que l'on voit trop dans les médias. J'ai aimé retrouver Cassel, Bercot ou Louis Garrel, des gens plutôt rares, des gens qui valent la peine de s'émouvoir pour du cinéma, des gens qui incarnent et qui comprennent ce qu'ils jouent - c'est d'une rareté inestimable, et c'est aussi dû à son immense talent de directrice d'acteurs, Polisse en tête de liste.