Pour moi, il y a deux Elie Semoun : le Malchanceux et le Sensible. Le Malchanceux, il est gênant lors de ses apparitions télévisuelles car il veut se faire passer pour un foufou, il se fait des délires en chansons que personne n’écoute, et surtout il n’a jamais eu de chance au cinéma. Hormis le doublage de Sid pour la saga « L’âge de glace » (et encore, cette saga s'est quand même très mal terminée), il n’a jamais brillé pour moi dans ce milieu, et le fait qu’il s’est senti obligé de récupérer Ducobu pour un troisième volet me rend plutôt triste. Mais il y a le deuxième Semoun, le Sensible. A l’occasion d’une sortie organisée par le lycée, j’ai pu le voir sur scène dans une petite ville bretonne (autant dire que tout le Pays était au courant et s’était déplacé pour le voir). Il a joué dans un gymnase, dans une ville bretonne sans gare, l’humoriste des « Petites Annonces » / celui qui a aidé Dieudonné et Frank Dubosc à se lancer. Il en a ri. Croyez-moi, sur scène, c’est une bête : tout le monde était complètement séduit ce soir-là, il faisait rire avec l’actualité, et pourtant c’était moins de deux mois après les attentats du 13 Novembre. Je me souviens encore très bien de cette soirée, parce que je pense que, plus que les gags, c’est la sincérité et l’humilité de cet homme qui m’ont beaucoup touché. J’aimerai beaucoup le voir dans un rôle dramatique : c’est un cliché de dire que les clowns sont des hommes tristes dans la vraie vie (Louis de Funès en exemple le plus représentatif), mais je crois qu’avec lui, il y aurait une palette vraiment attendrissante.
« Mon vieux », c’est le Malchanceux qui appelle à l’aide le Sensible pour une cause commune : l’Alzheimer de son père. Durant le confinement, Elie Semoun était particulièrement inquiet à son sujet, privé qu’il était de visites comme tant de gens. Même avant, son père prenait de plus en plus de place dans sa vie publique, et pour cause : comme tout aidant, porter un proche à bout de bras dans un interminable crépuscule vital, c’est un poids au cœur qui ne se soulage jamais tout-à-fait. Modestement, Elie Semoun veut apporter son témoignage sur cette maladie (car, attention, des films sur l’Alzheimer il n’en manque pas tant que ça). Conçu presque comme un vlog, notamment via quelques plans verticaux visiblement filmés par téléphone, aidé et soutenu par sa sœur (qui n’en est pas à son coup d’essai comme aidante), le film aurait pu être limité niveau technique. Et pourtant… J’ai été bluffé par la qualité du son par rapport aux conditions et intentions, et les images du fils avec le paternel sont captées avec énormément de justesse. Mais bien sûr, on ne regarde pas le film pour la technique, mais pour qu’on nous raconte une famille qui affronte l’une des plus terribles maladies qui soit. Ce vieil homme qui aura tant vécu jeune, veuf, qui a des instants de lucidité particulièrement déchirants, mais est la plupart du temps perdu dans l’espace (on devine aisément que Semoun n’a pas tout montré) … Ses enfants ont réussi à transmettre leur amour inconditionnel pour lui, et finalement chacun peut y voir ce qu’il aime chez son propre vieux (pour ceux qui l’aime). Elie Semoun, parfois en voix-off triste, parfois à l’image et démontrant toute la patience que nécessite le rôle d’aidant, dévoile totalement ce qu’il est, comme quasiment aucun humoriste n’a fait avant lui. Sur la fin, on nous montre comment il a fait participer son père à ses spectacles : très risqué, comment ne pas suspecter le racolage ? Mais non : le père monte pas juste pour dire « regardez comme j’aime mon père, comme je suis bien », ce n’est pas du tout l’intention du film dans sa généralité ; il est un gag consentant. Plus tard, Semoun fait une autre blague, sans lui, mais sur la mort de sa mère. Une façon tout-à-fait élégante de dire que la seule chose qui peut tout faire affronter, même les morts les plus terribles, reste l’humour. Qu’on rigole ou pas à ses blagues, Elie Semoun s’en fout au final : il veut faire rire, puisque lui a de moins en moins de raisons de continuer à le faire, et pour le reste, qui l’aime le suivent. Rien que pour ça, je le respecte sincèrement.
Ce qui est dommage, c’est que malgré ces 50 minutes de durée, il y a de bonnes grosses longueurs qui se répètent tout le film. Le fait de répéter les « Je t’aime » aussi, c’est personnel, mais ça m’agace rapidement. Tout le passage du retour au pays aurait mérité d’être franchement raccourci, puisque le papounet ne reconnait véritablement rien du tout. Mais surtout, surtout… Cette musique. Quel contraste avec un film qui veut être le plus sobre possible, mais qui utilise un tel couple violon-piano faisable sur Protools et fondant de guimauve sous un soleil de Mielpops. Y’avait pas besoin, Elie : ta sensibilité suffit, plus c’est épuré, plus l’émotion est efficace et durable.
Ces défauts font que le film n’atteint pas non plus le statut de chef d’œuvre de l’autobiographie audiovisuelle (il est difficile à catégoriser au bout du compte). Mais mon avis n’a aucune importance : aucun avis objectif sur ce film n’a un quelconque poids critique. Cet objet d’amour, peut-être le seul à nous exprimer la collaboration du Semoun Malchanceux, du Semoun Sensible et surtout du Semoun privé, a déjà parlé et parlera à beaucoup, surtout en cette année 2020 où nous avons tous morflé, chacun à notre manière.
Riez, Messieurs Dames.