Premier film du réalisateur chinois C.B. Yi, Moneyboys était une des très belles découvertes du Festival de Cannes 2021, présenté dans la section Un Certain Regard. Un film sur les travailleurs du sexe, leur quête d’amour et leur marginalisation tant sociale que familiale.


En 2016, Bangkok Nites, réalisé par le Japonais Katsuya Tomita, esquissait déjà le tableau d’un monde de la prostitution aussi intraitable que touchant, à travers la vie d’une jeune travailleuse du sexe à cheval entre deux mondes : la capitale nocturne où elle vend son corps, et le village rural où vit la famille qu’elle entretient avec son maigre salaire. Monyeboys de C.B. Yi est à bien des égards le pendant masculin et chinois de ce film. Une œuvre à la fois violente et pleine de tendresse, où l’on suit un, puis deux jeunes garçons à la recherche d’un bonheur qu’ils ne savent eux-mêmes pas définir, ni où chercher.


C.B. Yi dépeint ce monde de la prostitution masculine avec beaucoup de neutralité : on ne jugera jamais les travailleurs du sexe, ni pour ce qu’ils font ni pour ce qu’ils sont. Au contraire, la quête des personnages sera celle d’une forme d’épanouissement dans ce métier-là, malgré sa dureté, tout comme celle d’un amour absolu et exclusif au sein d’un milieu qui pousse irrémédiablement au détachement. Sans surprise, Fei, en tant qu’homosexuel et travailleur du sexe, subit régulièrement mépris et rejet, de la part de la société bien entendu, mais aussi de sa propre famille – laquelle se sent honteuse de vivre grâce à un argent qu’elle considère comme sale et déshonorant. Même les clients qui font appel à ses services ne montrent guère plus de respect : vol, violence physique, dénonciation à la police, représailles, etc. La vie de Fei est précaire et étrangère à toute forme de sécurité (financière comme physique). Pourtant, quelque chose semble le retenir et le pousser à continuer : un certain abandon à l’autre, un don de soi, un sacrifice du corps et du cœur à des hommes souvent vulnérables et en détresse affective. Pourquoi vendre son corps serait infamant ? Et surtout, pourquoi serait-ce l’apanage de la prostitution ? Un ouvrier qui s’éreinte toute sa vie à l’usine ne vend-il pas lui aussi son corps, d’une façon similaire ?


Moneyboys fait preuve d’une grande pudeur dans ses moments d’intimité, tout comme il n’hésite pas à filmer frontalement les confrontations, physiques comme verbales. Sa construction narrative est également passionnante : on présente d’abord Fei comme un personnage principal typique (le jeune nouveau dans un milieu hostile qu’il va découvrir à ses dépens, mais pris sous l’aile d’un homme plus âgé et inspirant, avec qui il nouera une relation amoureuse intense), avant d’inverser les rôles en introduisant un nouveau jeune homme, quelques années plus tard, que Fei prendra à son tour son sous aile et avec qui il reproduira le même schéma d’apprentissage et d’amour. Fei commence en ingénu vulnérable et peu sûr de lui ; puis il devient l’homme qui a du métier, désabusé et à la recherche de changement.


Ce changement ramène les personnages à un éternel choix de vie : faut-il faire de l’argent et économiser, pour se sortir le plus vite possible de la rue et fonder une « vraie » famille, en se mariant, en ayant des enfants, etc ? C’est là la trajectoire de certains. Faut-il continuer dans des conditions de vie qui relèvent davantage de la survie ? « Vivre, c’est chier, manger, dormir et gagner de l’argent », assène Fei avec cynisme. Mais sa relation avec Long lui fera changer de perspectives : peut-être une troisième voie est-elle possible ? Peut-être qu’une nouvelle forme de vie familiale, tout aussi heureuse, est-elle possible et compatible avec le travail du sexe ? Fei est un jeune homme dont l’amour est dévorant, exclusif, (auto-)destructeur. C’est un garçon qu’on découvre croquant la vie à pleines dents, saisissant les opportunités, et que l’on retrouve détruit par la vie avec le sentiment d’avoir laissé passer sa chance d’être heureux (que ce soit avec son ancien amant, avec Long, ou dans la perspective d’une vie familiale plus traditionnelle).


Un tableau bouleversant qui questionne à la fois le monde des travailleurs du sexe et les modèles de vie adulte traditionnels. Au centre de la toile, des portraits pleins de vie et de mélancolie, qui cherchent leur place dans le cadre, redéfinissent les formes et tentent d’en revigorer les couleurs. La quête d’une forme de vie heureuse encore à inventer, dont la réussite n’est pas garantie mais dont certains souvenirs (les sourires d’une danse en boîte de nuit, la compassion d’un repas entre amis, la complicité d’une balade à moto) sont malgré tout des preuves de sa possibilité.


[Article à retrouver sur Le Mag du ciné]

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le 20 mars 2022

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Jules

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