Bergman est un cinéaste d’une rare sensibilité, ses personnages respirent d’humanité. Ce n’est pas tant leur complexité qui les rend si naturels, mais leur ambiguïté et leurs failles. Cette façon de se refuser aux bluettes superficielles – à moins qu’il s’agisse de les déconstruire par la suite – est ce qui fait de la période romantique du réalisateur suédois une œuvre si passionnante. Monika est le sommet de son œuvre pré-Septième Sceau, l’accomplissement le plus total de cette vision profondément nihiliste de la vie et du destin amoureux.


L’un des plans les plus fameux de Monika – la plupart des analyses qui sont faites du long-métrage se basent d’ailleurs en grande partie dessus – est ce célèbre regard-caméra que l’actrice Harriet Andersson donne au spectateur, à l’influence gigantesque puisqu’il fut souvent cité comme l’une des inspirations majeures de la Nouvelle Vague. Il est dans tous les cas à l’image du film, désenchantement de la structure de la romance adolescente – en prenant à contre-courant le fantasme de ces histoires d’amour passagères, Bergman fait de leur tragédie affective un drame intime égoïste et brutal, à la conclusion amère et sèche.
En cela, Bergman semble se contredire lui-même – ou du moins, livrer une vision nouvelle du mélodrame Jeux d’été qu’il avait réalisé deux ans plus tôt. Ainsi, si l’aventure ne se termine pas dans une explosion, elle s’achèvera dans un chuchotement. C’est dans cette pluralité des développements et des conclusions que se trouve le génie de Bergman, cette absence de considérations et de jugements qui l’a mené à traiter sur un plan d’égalité tous ses personnages, quels que soient leurs défauts et leurs choix. Les figures centrales de Monika sont imparfaites mais elles sont vivantes, déchaînant un concert de passions tonitruant qui permet de considérer le monde sous un jour empathique nouveau.


Merveille du cinéma de la main d’un auteur à l’aube de son succès, Monika est à la fois un film d’un avant-gardisme saisissant mais aussi d’une sensibilité passionnée. Au-delà de l’économie de moyens, Bergman ne fait pas dans l’économie d’ingéniosité : dans l’écriture visuelle autant que philosophique, Monika est de dix ans en avance sur son temps. Indispensable.

Vivienn
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le 17 janv. 2016

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