.


Une performance d'acteur et un document rare sur le music-hall. C'est énorme !

Mon analyse est longue à lire, je m'en excuse mais le film le mérite et il a un POINT DE VUE et MEME TROIS !

J'ai lu avec amusement les critiques genre "Telerama" qui detestent le film : cette même aigreur qui ruissellait des papiers de l'entre-soi parisien qui méprisaient des récitals d'Aznavour des années 50 : du genre "est-on- autorité de laisser monter un tel handicapé sur scène ?" Plus largement , les critiques les plus dures semblent hors sujet car leur radicalite peut se résumer genre : "un biopic c'est pas vriament du cinema"" ou " un biopic c est de la propagande hagiographique " ou parano :"une écriture industrielle de promotion au service des ayant-droits".


Une autre partie des critiques reproche au film d'etre trop lisse. Il est vrai que la mode est aux clashs ou au sulfureux : des youtubeurs auraient-ils plus aimé du AZNAVOUR VS PIAF, du AZNAVOUR VS LA PRESSE , du AZNAVOUR VS LE FISC ?.

Mais est ce que ca peut faire un film robuste ?. Ces anecdotes auraient-elles fait un film d'auteur ? Je ne pense pas ..

.Pour une fois, delectons-nous d'un excellent biopic , ce qui est rare car il possède une ligne éditoriale. Il pose des questions universelles sur l'homme face à la création artistique , JUSQU'OU S'INVESTIR SANS ETRE ESCLAVE DE SA QUETE ?


Je vais essayer de vous convaincre que c'est même un film qui mérite d'être vu deux fois...bien que le music-hall de papa ou papi , je le reconnais, c'est un sujet hasbeen, du siècle dernier... comme si on parlait des opérettes et de la vie intime d'Offenbach !.


1. D'abord le choix de l'époque pour l'écriture principale du film.

Charles AZNAVOUR voulait que "son" film (!?) insiste plus sur le début sur sa période "galère" . On saura pourquoi plus tard dans ma critique.

Ce fut un bon choix : la période la plus fragile , la plus incertaine, la plus romanesque, la plus imprévisible , la plus instructive , celle entre le "club de la chanson" des années de guerre et la fin de son duo avec Pierre Roche (bien joué par Bastien Bouillon, bien qu'il ne ressemble pas du tout ...mais on s'en moque...) , une amitié en béton entre 1942 à 1950 où le process créatif d'Aznavour se construit. .l

Ce film met l'accent sur ses faiblesses face à ce Pierre Roche charmeur. . Très adroit avec les femmes alors qu'Aznavour est assez nul en drague..

C'est le premier Arnavour : hargneux , maladroit, gesticulant, sans culture,..

Ca déjà c'est un point de vue... : il y a peu de spécialistes de l'histoire de la chanson en France qui étaient au courant des futures repercussions de ces frustrations.. !.

Ca expliquera le côté ostentatoire et bling-bling des années 70 du Charles version 2ème période : ( Rolls/vestes hallucinantes...) : se venger de ses vrais revers mais aussi de ses complexes époque Roche...Le biopic n'est pas lisse : il rappelle que la nature humaine est une alchimie complexe.

.

2 , Le film ne triche pas sur les moments de crises de création d'Aznavour , Montmartre avec Evelyne Plessis , la page blanche ssans idee.. etc.. : le vrai propos du film c'est d'expliquer que l'histoire de la chanson Française va parfois chercher son esthétique entre l'orient et l'occident, entre la mélancolie et l'instantané. L' art d'Aznavour consiste à raconter des petits films en 3 minutes qui puise son inspiration à la fois dans la mélancolie, les musiques du monde, le quotidien avec ses plaisirs ....et ses lâchetés parfois, donc la vécu de peuples.

La chanson a donc besoin des immigrés pour s'enrichir dans l'écriture et ses souffrances....( écoutez " l'émigrant").

Deuxième point de vue.


3. La mise en scène est très soignée à la Française ( rigueur absolue des décors ) mais sans surjouer le misérabilisme.

Les transitions d'images et leurs audaces annoncent quelques polémiques sur la déontologie et l'impact de l' IA dans l'écriture au cinema : ses forces mais aussi ses limites voire ses deviances. On verra ce que ça va donner dans 10 ans.

4.

Ce film veut nous faire un rappel important : Aznavour est un génie du récit chanté , ce n'est pas un "chanteur " !.

il possède ce don de nous faire voyager dès la première phrase, quoi qu'il dise ! DU PLUS BANAL AU PLUS INTIME . C est ce qui avait stupéfait Michel Serrault en l'écoutant pour la première fois... Oui, Aznavour restera un conteur oriental grimé en chanteur occidental : il nous "embarque" de suite dès les 6 premiers mots . C'est le message que nous chuchotte Aznavour post-mortem quand il a validé le concept du film juste avant sa mort : tout dire par le geste et le phrasé dès les 10 premières secondes grâce à un processus basé sur le travail et la solitude dans la création ... C'est une quête : il y a toujours un sentiment du parcours non achevé à la fin de son histoire, un désœuvrement qui transpire beaucoup à la fin du film....


La chronologie peu sembler scolaire ...

On préférera la premiere partie , cet hymne à la persévérance, à l'amitié et à l'incertitude : celle où l'artiste se frotte au prix a payer pour son ambition ( il est coatché par Piaf , le film est très précis ) : il se questionne sur le sens de sa vie une fois la "norme Piaf" , qu'il exécuté avec une rigueur militaire ( negliger sa famille , réussir à Paris avant de partir dans le monde , refaire son nez)...

Aznavour pose cette question : est ce que cette école tyrannique du spectacle sous la 4ème République était saine ? C'est passionnant .En tout cas elle produisait de la qualité d'écriture : la messe est dite sur ce sujet. Les textes de ses chansons ne sont jamais indigents.


6. La performence immersive de Tahar Rahim qui a bossé 6 mois pour s'imprégner de l'âme de l'artiste. Syndrome "UGOLIN" de Daniel Auteuil où l'acteur s'immerge nuit et jour dans le caractère du héros en poussant les limites du corps humain. Technique "actor studio" appliquée à 120%... Un travail de forçat. La production, stupéfaite, a même du faire repasser en post-synchronisation Tahar Rahim a la dernière minute pour coller sa propre voix aux images ... La famille d'Aznavour n'en a pas cru ses oreilles et ses yeux tant le mimétisme a produit un trouble très déstabilisant ! .. Ceux qui disent que Tahar ne ressemble pas à Aznavour n'ont pas bien observé ses premières photos Harcourt et ne l'ont jamais vu dans ses premières télés. Les jeunes ne l'ont connu que vieux, la main souvent tremblante et chantant... faux!

Question performance d'acteur , on est loin du confort relâché habituel de la majorité des plateaux de tournage Francais. Il est dans la course aux Cesars 2025 bien évidemment.


5. Les faiblesses du film :

Sans Aznavour à la voix voilée, il n'y aurait jamais eu Gainsbourg , qui adorait sa chanson "Parce que"... C'est cette thématique qui manque dans l'écriture du film :Charles Aznavour a ouvert la route aux chanteurs sans voix. Grand Corps Malade à loupé cette opportunité de développement.

La deuxième partie du biopic (l'envol :1953-1975) est aussi moins documentée: l'apport de grands collaborateurs en musique qui ont enrichi son esthétique musicale est oubliée ( Jacques Loussier son pianiste quelques temps, Paul Mauriat, Georges Garvarentz, .... ) : les passionnés de musique n'en ont pas pour leur argent pendant la séance... je vous l'accorde.

Ses émissions Italiennes ( Sensa Rete) ou ses récitals Americains ont été moins visionnés que les bobines INA ou les perso 16mm : il y avait de quoi faire une deuxième partie de film aussi bonne que la première pour obtenir un sans faute absolu..

Et enfin, vieux , sa fin de carrière ou il s'accroche aux rideaux à la manière d'un Maurice Chevalier ,pathétique mais plus humain , aurait peut-être donné plus de tendresse au personnage sans écorner l'aura du film. Dommage.


7

En résumé : presque un sans faute.

. La fidélité à sa biographie et la pédagogie du film .Les réalisateurs decortiquent une partie opaque de l'histoire du music-hall des années 30 à 60 injustement accaparée jusque là par l'aura les 3 monstres sacrés ( Ferré, Bassens, Brel) : c'est cette époque où Aznavour , d'abord enfant, observait ses parents restaurateurs-artistes armeniens et hantait les promenoirs pour decortiquer le jeux de Chevalier puis ado , celui de Charles Trenet..

Il préparait sont "coup".!.

Puis se lançant dans la chanson , il fût de suite éreinté par la critique Parisienne, et donc chanté surtout par les autres ! ....." Souffre douleur " de la bande et "porte valises" du clan Piaf ( bien interprété par Marie-Julie Baup) , le film rappelle que ce fut là le prix à payer pour apprendre le métier. Vivre le quotidien d'Edith Piaf avec ses blagues vulgaires , sa rugosité, mais aussi son intuition à pousser les jeunes talents . Son flair !...

Je recommande d'écouter avant d aller voir le film : " j'ai bu" par Charles Ulmer. (1946) ou "Je hais les dimanches " (1951) par Juliette Greco et "poker" ( chanson de 1949, rechantee par lui même en 1964... et même Zaz le mois dernier)

..) . La courte période au Canada avec l'élégant Pierre Roche est aussi déterminante pour le moral d'Aznavour : il veut voler de ses propres ailes et la discussion de rupture est très bien jouée


Le public va donc découvrir une page méconnue du music-hall, bien avant la création de "Je me voyait déjà " en 1959: cette chanson sur le métier, ce bras d'honneur au destin, une chanson culte refusée par... Montand qui aurait pu être le second titre du film en guise de générique de fin...

Il avait même chanté " pour essayer de faire une chanson" ... sans aucune pudeur sur ses "trucs" et ses procédés. En conclusion , l'intérêt premier du film , c'est de s'intéresser au processus créatif d'une chanson.

La mise en scène s'egare parfois dans du wikipedia au millieu du film : c'etait pas trop l'envie d Aznavour je crois de nous balancer ses classiques ( ses "corvées" comme il disait en recital) mais Grand Corps Malade et Mehdi Idir mais ils ont dû insister.. peut être une erreur... bien que le choix des 10 chansons illustrés soit bien ajusté.

Malgres cette faiblesse , la structure globale de ce film est parfaitement adaptée à cette aventure unique de l'histoire de la chanson. Tel qu'Aznavour la voulait : sans tricher ni mentir, .... ni surjouer la gloire. Des histoires d'amitiés mais aussi des soucis familiaux. La période à Montmartre avec Evelyne sa deuxieme femme est raccourcie : les disputes auraient pu être plus approfondies

J'adore la dernière partie, plus homogène : Aznavour se questionne sur la vacuité de la gloire et sur les limites d'un parcours narcissique concentré prioritairement sur le métier et l'ambition au détriment de sa famille. Les obsèques de Patrick et son refus de se mettre en deuil quelques jours est à mémoriser.

Donc le film n'est pas hagiographique, j'irais même a dire que la pureté d'intention du film est à la frontière de l'auto-critique. Une démarche courageuse.


LA-GIRELLE
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le 14 oct. 2024

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LA-GIRELLE

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