L'un des meilleurs thrillers français à voir au moins une fois dans sa vie. Delon, oui, Delon !

Trois mois seulement après la sortie de « Mélodie en sous sol » sort le fastueux et mémorable « Guépard » (de Luchino Visconti, mentor delonien par excellence), classique du 7ème art dans toute sa splendeur.

Devenu producteur de premier plan avec « L’insoumis », Alain Delon joue ensuite dans le film de guerre « Paris brûle-t-il », se fait « Samouraï » (des temps modernes !) pour Melville (un autre de ses mentors), se remet en couple avec Romy pour « La piscine » puis forme un trio avec Jean Gabin et Lino Ventura pour les besoins du « Clan des siciliens ».

L’année 1970 débute et « Borsalino » sort sur les écrans.

Ce classique du polar à la française affûtée par des seconds couteaux d’époque (Christian de Tillière, Daniel Ivernel, Michel Bouquet, Arnoldo Foà, Mario David, Nicole Calfan…) se doit d’être vu par le pouvoir de séduction par l’affrontement au sommet Delon-Bébel, cheveux gominés et mitraillettes à l’épaule. La musique entêtante de Claude Bolling et le duo Deray-Sautet (réalisation-scénario) a fait de « Borsalino » au fil du temps un film culte qu’on savoure toujours autant rediffusions aidant.

Les 70’s, années fastes pour Delon, continuent (« Le cercle rouge », « La veuve Couderq »), il s’expatrie hors de France par deux fois (« Soleil rouge », « Scorpio »), joue une dernière fois pour Melville (« Un flic »), (co-)réalise son premier long-métrage en 1973 (« Les granges brûlées ») puis incarne Zorro deux ans plus tard.

« Monsieur Klein » sort sur les écrans en 1976.



Visionné pour la première fois lorsque j’avais la quinzaine, je le revois seulement maintenant, à l’aube de mes 36 ans.

Costa-Gavras, un temps pressenti, laisse le projet au réalisateur Joseph Losey pour se concentrer sur « Section spéciale ». Il s’agit du premier film français du réalisateur -qui en tournera un second (« La truite »)- qui qualifie « Monsieur Klein », produit par Alain Delon, de « fable en guise d’avertissement » selon ses propres dires.

Long-métrage de Joseph Losey également primé, pour la deuxième édition des César en 1977, de trois récompenses : meilleure réalisation (le premier César de la meilleur réalisation a été donné à Tavernier pour « Que la fête commence »), meilleur film et meilleurs décors (pour Alexandre Trauner).


Synopsis : Pendant l’Occupation allemande, à Paris, Robert Klein, un français revendeur de tableaux de peinture, se fait rattraper par son homonyme juif. Cherchant à réparer l’erreur en contactant la Préfecture de police de la capitale, il ne fait qu’aggraver son cas. Mais jusqu’où ira Robert Klein pour résoudre son problème ?


Tout d’abord, le nom des étoiles françaises.

Le premier se nomme Alain Delon dans la peau de ce pauvre et miséricordieux Robert Klein. Delon… aaah Delon : la classe à la française ! D’un charisme inébranlable, il livre l’un de ses meilleurs rôles, l’une de ses meilleures compositions, assurément ! Déjà vu chez Joseph Losey pour « L’assassinat de Trotsky ». Par deux fois, il tournera pour Alain Jessua (« Traitement de choc », « Armaguedon »).

Michel Lonsdale (« Moonraker », « Le nom de la rose », « Munich », « Des hommes et des dieux », ...), portant la robe d’avocat pour Robert Klein le français, avec une complexité d’interprétation bien à lui, apporte une épaisseur psychologique en plus dans ce polar porté par un Delon tout en nuances.

Ce duo, Delon/Lonsdale, nous fait rentrer de plein fouet dans ce film, qui plus est politique, s’ancrant à merveille dans les 70’s, comme tout bon polar considéré ‘classique à la française’. Un excellent duo pour deux têtes d’affiches exceptionnelles des 70’s.

Jeanne Moreau (la meilleure actrice du monde selon Orson Welles. Le titre de chacun des films que je vais énumérer parle et parlera toujours en sa faveur ! « Ascenseur pour l’échafaud », « Jules et Jim », « Le procès », « Le train » -de Frankenheimer-, « Le dernier nabab »… et tant d’autres !) apporte à « Mr Klein » son aura et sa prestance tout comme une mystérieuse entité dévastatrice pour Delon.

Gérard Jugnot, dans un mini-rôle, est reconnu la main dans la sac !

Notons également la présence de Louis Seigner, Suzanne Flon, Michel Aumont et Jean Bouise au casting convoqué par Joseph Losey.

De ce casting sans reproche aucun, je ne peux éviter de rendre un hommage mérité à Pierre Vernier (qui a joué ici un tout petit rôle) décédé il y a quelques jours, lui, le partenaire des Marielle, Rochefort, Bébel, Noiret... tant au Conservatoire de Paris qu’au cinéma pour les décennies suivantes.


Losey, le réalisateur du « Garçon aux cheveux verts », nous plonge d’emblée dans son ambiance, un univers porté et teinté d’onirisme et de fragrance par une atmosphère hautaine (dans laquelle transparaît le charisme de Jeanne Moreau et l’inévitable hauteur d’interprétation lonsdalienne), le tout commençant par un générique anecdotique et pourtant diablement important, un tableau artistique résumant la vie du personnage principal, Monsieur Klein

Le réalisateur de « The servant », quasiment toujours à hauteur d’homme sauf pour nous immerger dans son Paris quasi-mutique en des plans d’ensemble, filme, caméra rivé sur les expressions des personnages, avec la complicité du regretté Pierre-William Glenn (qui aura tourné pour les plus grands : Costa-Gavras, Truffaut, Tavernier, Corneau, Boisset, Lelouch) au niveau des cadrages parisiens et humains, un drame humain dans lequel transparaît une quête d’identité irréversible et vengeresse pour ce fameux Monsieur Klein. En cela, Joseph Losey se fait ainsi l’alter-ego d’Alain Delon qui se transforme bien malgré lui en un transfuge de la société, une victime de la Shoah. Sa conscience véritable en sera dépouillée à jamais jusqu’à atteindre un cauchemar inexorable, total.

Doté d’un final inéluctable et mémorable pour tout amateur de cinéma (et que j’avais totalement oublié !), le metteur en scène, qui eut besoin pour cette séquence de plusieurs milliers de figurants, signe ainsi un brûlot sur la société pendant l’Occupation et fait de cette gangrène sociétale un sujet d’actualité vibrant, poignant et tellement actuel (comment ne pas penser à la liberté d’expression que le terrorisme d’aujourd’hui veut anéantir ? Tout simplement, on ne peut pas !).


Je ne peux que souligner l’importance du scénariste Franco Solinas (créateur du western Zapata par son adaptation au cinéma de « El chuncho », il a également écrit les scénarii de « La bataille d’Alger », « Colorado », « Le mercenaire » et « Etat de siège » notamment) présent ici pour souligner cette relecture politique (et véreuse !) de la rafle du Vél d’Hiv présenté ici comme un polar sous couvert d’un thriller porté à bout de bras par un Delon en pleine forme.

Joseph Losey et Solinas le scénariste se parant ainsi d’une écriture filmique alambiqué conduisant ce polar dans la verve du western urbain américain, tels le « Shaft » de Gordon Parks, « L’année du dragon » de Cimino, ou « Le doulos » côté français. Avec, par ces exemples, ce côté ‘polar d’atmosphère’ sérieux dans lequel le réalisateur de « Haines » et de « Eva » parfume son histoire, embrume son récit : une part de mystère et d’aura surgissant ainsi du film (et aussi grâce à une reconstitution historique parisienne brillamment réussie par le chef décorateur Alexandre Trauner !-collaborateur attitré de Marcel Carné (« Drôle de drame », « Le quai des brumes », « Les enfants du paradis »), mais aussi de Billy Wilder, Tavernier…). Un drame ainsi subtilement organisé (et reconstitué !).

« Mr Klein » ne se résume pas ici à ce point, c’est un doux mélange de quêtes identitaire et vengeresse à travers le portrait d’un vendeur de tableau français qui exerce un métier fort honorable.

« Mr Klein », c’est bien l’histoire d’un homme pris en des engrenages inévitables et inexorables.

D’une envergure incomparable, Joseph Losey, metteur en scène du « Rodeur » et du « Temps sans pitié », nous porte avec une conviction sans commune mesure, sans musique aucune dans le film (pour parfaire son stylisme, et de nous faire sa leçon de cinéma !), d’un genre à un autre (drame, polar, thriller) pour arriver à ses fins.


Pour conclure, « Monsieur Klein »(1976) est sans commune mesure cette fable politique et institutionnelle sur le pouvoir et un film sociétal sur la corruption identitaire (comme Elio Petri l’a fait sur son « Enquête sur un citoyen au dessus de tout soupçon ») parachevé par Joseph Losey (récompensé par deux fois du Grand Prix du Festival de Cannes pour « Accident » en 1967 et « Le messager » en 1971), ce qui en fait ce chef d’œuvre (mineur) du cinéma français à voir au moins une fois dans sa vie.

L’un des meilleurs thrillers politiques français (ici ayant pour cadre l’Occupation allemande avec la rafle du Vél d’Hiv) et l’un des meilleurs thrillers français de ces 50 dernières années.


Accord parental souhaitable.


Spectateurs, attention !… un changement d’identité, c’est un changement ...à vie !


PS : je suis allé voir au cinéma, au début du mois d’octobre, le dernier Coppola : « Megalopolis ». Œuvre mégalomane, oui, mais cauchemar dystopique et apocalyptique qui rend hommage à l’âge d’or hollywoodien des 50’s, des 70’s et des 80’s (et par la même occasion au cinéma du maître du Nouvel Hollywood : on se complaît à reconnaître « Conversation secrète », la trilogie du « Parrain », « Outsiders », « Cotton club », les affiches de « Dracula »...). Ce n’est clairement pas un chef d’œuvre actuel du cinéma mais il s’agit incontestablement du chef d’œuvre testamentaire du dernier des géants (Coppola) sur le New York qu’il a jadis connu (critique, sur la société, acerbe et affûtée). Dernière œuvre pour une expérience sensorielle inexplicable (à voir au ciné donc !) de la part du cinéaste qui a révolutionné le 7ème art, Francis Ford Coppola, le metteur en scène des « Gens de la pluie », « Peggy Sue s’est mariée », « Jardins de pierre », « Twixt »... !

Le lien entre « Megalopolis » et « Monsieur Klein » ? Joseph Losey a aussi réalisé « La bête s’éveille » avec Dirk Bogarde, ce dernier ayant également tourné dans « Le serpent » (d’Henri Verneuil) et mis en musique par un certain Ennio Morricone qui a également réalisé la partition de « Queimada » (avec Marlon Brando). La suite ? Brando a joué dans deux films majeurs de l’auteur de « Megalopolis », et pas des moindres ! J’ai cherché… et j’ai trouvé !

brunodinah
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le 25 oct. 2024

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