Monsieur Lazhar est à la fiction ce que La Cour de Babel est au documentaire : un regard simple mais plein de nuances sur les thématiques casse-gueules par excellence que sont l'école, l'éducation et l'enfance. On peut reprocher au film de Philippe Falardeau quelques maladresses, des raccourcis et des simplifications de circonstance, mais s'il y a bien une chose qu'il évite, c'est l'angélisme et le manichéisme qui sont de vraies plaies dès lors qu'un film s'attaque à la question de l'enseignement.
Au centre du film, un personnage : Bashir Lazhar, un instit atypique interprété par l'humoriste-acteur-écrivain algérien Mohamed Fellag. Immigré algérien (dans le film) confronté aux codes de l'enseignement au Canada, l'air débonnaire et le Monde Diplomatique en poche, c'est le catalyseur d'une incompréhension qui voit s'affronter deux mondes. D'un côté, l'équipe enseignante qui essaie de gérer une situation de crise suite au suicide d'une prof, en essayant de tirer l'événement vers une normalité acceptable aux yeux des enfants ; de l'autre, ces enfants traumatisés qui se posent des questions et qui, surtout, peinent à adopter le regard que semblent leur imposer les enseignants.
Monsieur Lazhar sera la personne par laquelle, presque malgré elle, la situation se désamorcera. Si l'on pense au début à un lettré à l'ancienne, exigeant et consciencieux, amateur de Balzac jusqu'à le donner en dictée à des élèves de 12 ans, le personnage dévoilera peu à peu sa profondeur ainsi que ses failles. Derrière une certaine candeur se cache un air grave, et derrière une apparente sévérité se cache un passé douloureux dont on ne s'abstrait pas aisément. C'est précisément cette dimension hors-norme qui le pousse à réagir différemment à la souffrance des élèves, une souffrance presque occultée par l'école trop occupée à désamorcer les tensions et les conflits qui ont suivi le suicide. Ce sont des codes étonnants vus d'ici : dans ces classes, on tutoie le professeur et on le prend en photo mais le contact physique est radicalement proscrit.
Là où le film est particulièrement réussi, au-delà d'une mise en scène très sage et de certains éléments dramatiques qui auraient pu être évités, c'est dans la peinture de ces deux univers entremêlés. Deux portraits qui semblent si éloignés mais qui finissent par se rejoindre : un homme déraciné et sans papier qui doit faire face à des enfants abandonnés, perdus dans leur rapport à la mort. On met très rapidement le doigt sur de nombreuses contradictions, comme cette parole qu'on veut encourager à l'école alors qu'on se refuse d'écouter ce que des enfants ont besoin d'extérioriser. La voie de l'ignorance choisie de manière délibérée, par commodité, par sécurité, et dont ressort une forme de violence à l'encontre de l'enfance, de la culpabilité qui la ronge et de ses appels à l'aide camouflés qu'on ignore. De cette souffrance partagée naîtra un lien entre le maître et ses élèves, une douleur qui se communique afin de se reconstruire, pour avancer et non pas oublier. Une épreuve à l'image de la chrysalide citée dans le film, tombée de l'arbre avant d'éclore.
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