En choisissant d'incarner lui-même, avec sa compagne, Doria Tillier, le couple mythique qu'il venait de créer avec elle, à travers les personnages de "Monsieur & Madame Adelman", Nicolas Bedos aborde de plain-pied la problématique du réel et de la fiction.
Un écart est d'emblée et clairement posé, puisque le film s'ouvre sur les funérailles du grand Académicien qu'était devenu le vénérable Monsieur Adelman. Écart qui se prolonge dans l'organisation du scénario, puisque celui-ci repose sur un long flash-back remontant en 1971, année de la rencontre du futur couple ; mais ce flash-back est narré par la voix off de la veuve Adelman s'adressant à un jeune journaliste, narration qui se trouve bien souvent démentie, ou fortement bémolisée, par les images apparaissant à l'écran. Or le jeune Adelman (puisque tel sera son nom de plume) aspire à devenir écrivain, un écrivain efficacement revu et secondé par sa femme. Le corps du propos prend ainsi rapidement consistance : quand le vrai est-il dit ? Où passe la frontière entre réel et fiction ?
Sur fond de cette interrogation qui instille un doute fécond dans le déroulement scénaristique, vont ainsi être abordés, à bride abattue, les thèmes successifs qui ont pu marquer la vie d'un couple d'intellectuels aisés, puis fortunés, dans la décennie 70 et les suivantes : les tourments de la création, le rapport aux parents, aux enfants, les luttes féministes (Victor Adelman, né de Richemont, choisit d'adopter le patronyme de sa femme, Sarah, d'où l'ordre du "Monsieur et Madame", dans le titre), la judéité, la fidélité dans le couple, son usure, la psychanalyse, et enfin le vieillissement, des parents puis le sien propre... Les répliques fusent, volontiers saillantes, cinglantes, et l'on pourrait par moments avoir l'impression d'une succession de sketchs, tant la question du rythme, soutenu par les mouvements d'une caméra très mobile, se fait visiblement présente.
Le fil conducteur déroulé par cet accompagnement, sur une cinquantaine d'années, de la vie d'un couple, assure une continuité, au-delà de cette nécessité de ne jamais s'attarder. Les acteurs phares sont au mieux de leur forme, éblouissants de drôlerie et de spiritualité, escortés par une galerie de seconds rôles qu'ils ont le bon goût de ne pas éclipser.
Les dernières années se lestent de gravité, le rythme se ralentit quelque peu et, en même temps que se fait plus inquiétante la figure de l'épouse, apparaît un nouveau degré narratif, se dégage un nouveau doute, si bien que le film se referme sur un réel pris au piège d'un palais des glaces, comme l'était Orson Welles dans la scène finale de "La Dame de Shangai"...