Monster est une projection romancée de la fin de carrière de Ailen Wuornos, « première serial-killer lesbienne » qui avait abattu sept hommes en l’espace d’un an et dont le procès dans les 90s ouvrit un débat sur les conditions de travail des prostituées. Wuornos fut condamnée à la peine capitale mais son histoire a bouleversé et interrogé les médias et l’opinion. Patty Jenkins reprend le dossier à son compte, sans sermon ni pardon, sauf que tout ressemble à un argumentaire désabusé en faveur de la tueuse.
Le portrait est compatissant et invoque autant la déchéance personnelle d’une femme que la responsabilité de la société. Wuornos et sa petite amie, une jeune fille pâle et faible, qu’elle domine sans vergogne, sont enfermées dans un monde trop vaste où elles n’ont pas d’accroche.
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Trop vite amputée, Wuornos est devenue une vermine et cherche la validation, invoquant sa conviction personnelle autant que Dieu, la bêtise du monde et celle des hommes. Se déroule alors la trajectoire d’une déliquescence toujours retardée par son auteure, mais inscrite dès le départ. Sauf que Wuornos n’est finalement que ce qu’elle nie : une loque, une serpillière ignoble, une criminelle dégueulasse et un enfant capricieux et tyrannique. Elle se prétend saine malgré tout, là où personne ne le voit ; elle a confiance en un potentiel insoupçonné dont rien, pas même son mental dévasté, encore moins son art de vivre laborieux, ne fait la preuve. En vérité Jenkins filme une dérive totale en donnant la parole à une brute amochée par les combats de la vie, qui ne s’est relevée que pour s’engluer et surtout, déverser le mal qui la ronge et le désir de cogner qui l’habite. Car c’est un être humain, qui a manqué de chance : on en oublierait qu’elle a manqué aussi de dignité, d’humilité, d’intelligence (ne trouvant qu’à parodier l’objet de ce manque en prétendant avoir une « discipline personnelle »).
Monster est à la fois résigné devant l’ordre et la mesquinerie du monde, tout l’accusant rageusement de tous les maux de son personnage. Jenkins n’en fait pas une vengeresse, une revancharde comme on en voit dans les rape-and-revenge : elle présente Wuornos comme une victime, à la fois des hommes vicelards et d’une société injuste, qui eux sont tous coupables. Jenkins n’excuse pas Wuornos, c’est vrai ; elle ne s’émeut pas non plus de sa destinée, qu’elle traite de façon caricaturale : elle fait pire que tout ça, légitimant les actes de la serial-killeuse.
C’est un film cynique qui se veut compte-rendu lucide et radical de la société. Monster présente ce qu’est un monde où les pouvoirs publics n’existent plus, où les rares institutions légales ne servent qu’à achever les moutons belliqueux. Cette vision cru, simple et sèche, est vénérable, car elle saisit la cruauté implicite d’une société impassible, indifférente à ses miséreux. Patty Jenkins convoque dans le même temps la nature humaine et avec l’existence instinctive et primale de son héroïne, elle montre une réalité : l’essence des hommes n’est jamais aussi criante que dans les environnements fauchés.
(...) https://zogarok.wordpress.com/2014/05/06/monster/