En 2004, sort Le Pôle Express réalisé par Robert Zemeckis. Film racontant le voyage d’un garçon au pays du Père Noël, la particularité de ce long-métrage est son apport technique avec la performance-capture, procédé révolutionnaire qui consiste à manipuler les expressions d’un corps humain, les formes d’un objet, en somme l’interprétation d’un acteur pour l’appliquer sur un avatar virtuel. De cette technique de modélisation numérique, nous avons eu des prouesses telles que King Kong, remake de Peter Jackson en 2005, les créatures d’Avatar (2009), le dragon Smaug de la saga du Hobbit (2012-2014) ou César le singe révolutionnaire de la reprise de La Planète des Singes (2011-2017). C’est bien une autre méthode de travail à maîtriser sur le plateau de tournage, sans décor palpable mais avec des acteurs habillés de costumes munis de capteurs de mouvement. Néanmoins, la performance-capture était à ses débuts il y a quinze ans et presque encore à l'état d'expérimentation. Avant Beowulf de Zemeckis, dont l’objectif était de pousser le réalisme des traits de visage jusqu’au bout, se développait un autre film en performance-capture : un film pour enfants intitulé Monster House, d’après un scénario de Dan Harmon et Rob Schrab, puis réécrit par Pamela Pettler. Epaulé par le duo gagnant Steven Spielberg-Robert Zemeckis, soutenu par Sony Pictures et ImageMovers Digital, le réalisateur Gil Kenan signe ici son tout premier long-métrage qui lui ouvrira une carrière en dent de scie, pour être gentil. Après le film de Noël de 2004 confectionné par le réalisateur de Retour vers le Futur, voici le film d’Halloween de 2006, malheureusement sorti dans l’indifférence pendant l’été !
L’histoire se déroule dans une banlieue pavillonnaire américaine. Un jeune garçon D.J. Walters (Mitchel Musso) est obsédé par son voisin (Steve Buscemi), terreur des enfants de son quartier. Quand celui-ci se retrouve hospitalisé à cause d’une crise cardiaque, la maison abandonnée semble douée d’une vie propre et engloutit ce qui passe sur sa pelouse. A l’approche de la fête d’Halloween, D.J. et ses amis décident d’arrêter le monstre avant le carnage du soir redouté.
Le long-métrage présente une idée classique d’histoire horrifique (une maison hantée) et la place dans un contexte familier mais propice à l’aventure (un quartier suburbain vu à hauteur d’enfant). Par ce parti-pris posé dès les premières minutes, il assume une inquiétante étrangeté dans son récit et suit par conséquent une démarche hybride de « film d’horreur pour enfants ». L’aventure fantastique de D.J., garçon en puberté, alterne étonnamment moments de complicité (les joutes verbales du trio d’enfants), phénomènes effroyables avec des objets possédés (ballon, cerf-volant, jouets à ressort) et même des instants déchirants (le flash-back sur le passé du voisin irascible). On pourra reprocher sans doute une mise en place de l’histoire étirée en longueur, des raccourcis et autres erreurs incompréhensibles dans cette banlieue déserte (notamment lors d’un final spectaculaire pendant la nuit d’Halloween) ainsi que le recours à des archétypes pour caractériser les personnages (la jeune intello, la baby-sitter gothique, les policiers incompétents). Cela étant dit, Kenan semble tirer parti de ces clichés en mettant en scène un film anachronique ; le magnétophone à cassettes et l’arcade de jeux vidéo prouvent ce décalage. Eh oui ! Avant le phénomène nostalgique nommé Stranger Things, Monster House réinvestissait déjà en son sein l’imagerie des films familiaux des années 1980, majoritairement produits par Spielberg, tout en l’assujettissant à une technologie innovante en son temps. Avec le soutien de la performance capture, la mise en scène de l'œuvre gagne en ampleur. La caméra se faufile dans tous les recoins de ce monde virtuel pour aboutir à des scènes visuellement hallucinantes. Du générique de début (un plan-sequence suivant la trajectoire d’une feuille automnale jusqu’à la maison monstrueuse) jusqu'à l’exploration de la propriété du voisin, en passant par une scène de cauchemar jouant sur la taille des ombres, le découpage des scènes est clairement maîtrisé et concrétise un spectacle cauchemardesque qui n’hésite pas à impressionner les plus jeunes spectateurs. Si les personnages ont des traits (volontairement) grossiers ou accusent de mouvements approximatifs (coupe de cheveux immobiles, corps aux mouvements parfois rigides, yeux morts à certains moments), l’attraction du film est bien cette masure vivante, intimidante en diable et joliment expressive. Grâce à une performance de Kathleen Turner, une modélisation numérique réfléchie et l’enregistrement de craquements de bois pour les mouvements, le « personnage » de la maison monstrueuse bénéficie d’une véritable incarnation à l’écran. D’une bicoque possédée par un esprit retors, elle devient progressivement une entité redoutable, à la force surprenante doublée d’un sens de l’humour grinçant. C’est la figure par excellence de la monstruosité dans ce film, à la manière de Tim Burton qui dépeignait avec sensibilité des êtres imparfaits. Cependant, là où Burton usait de la mort comme un terrain de jeu subversif, notamment dans Beetlejuice (1988) et dans Les Noces funèbres (2005), la maison-monstre peut servir à de brefs instants de parabole à la phase de deuil. En définitive, ce monstre urbain répand une énergie dévorante qui s’empare de la pellicule à chaque apparition. En résulte une séquence finale qui le met au premier plan, dans un enchaînement d’événements excessifs mais hautement jouissifs pour tout inconditionnel de films d’horreur
Monster House c’est, en somme, la rencontre fortuite entre la bande de copains des Goonies (1985) et la demeure maléfique d’Amytiville (1979), entre l’aventure à visée familiale et l’épouvante à domicile. Comme un vieux coffre à jouets à dépoussiérer, Monster House de Gil Kenan parvient à séduire l’enfant d’hier, devenu parent, et à initier celui d’aujourd’hui à un répertoire de cinéphilie axée sur l’horreur.