Série jeunesse très étrange mais originale...
"Hé Arnold !" est originellement une BD inventée par Craig Bartlett en 1986. Le grand public enfant, dont moi, a connu cet univers principalement par un dessin-animé financé par Nickelodeon et diffusée en 1996. Nicktoons, appelée comme tel à l'époque, s'était fait connaître par un style artistique vraiment singulier : un style qui assumait une influence au cartoon avec des couleurs saturées et des expressions extrêmement soulignées mais dont les proportions du trait donnaient un résultat particulier, prompt à titiller le regard des enfants. Rien de bien méchant, mais "Les Razmokets", par exemple, avait un trait de crayon tellement hasardeux qu'il pouvait surprendre.
Le dessin de "Hé Arnold" peut laisser la même impression tant les formes de visages sont volontairement exagérées, comme c'est le cas de son personnage principal. Le style me surprenait donc étant petit, mais le fait est que ce cartoon possédait quelque chose de foncièrement attachant, peut-être dû à la volonté de rester focalisé sur le point de vue des enfants, qui arrivait à me faire aimer cet univers.
Comme je suis à présent nostalgique passé à l'âge dit "adulte", je me suis replongé dans les dessins-animés qui ont façonné mon enfance, et "Hé Arnold !" en fait partie.
Qu'est-ce que raconte cette série au juste ? Il s'agit du quotidien d'un jeune garçon d'une dizaine d'années, nommé Arnold, reconnaissable à sa tête en forme de ballon de rugby. De nature extrêmement candide, il aide spontanément les gens, apprécie l'instant et reste toujours optimiste, ce qui pose un contraste avec la banlieue dans laquelle il vit où moqueries et discrimination en sont les crédos quotidiens de ses camarades. Toujours à aider son prochain, il ignore qu'une fille lui cache en secret des sentiments profonds envers lui.
Ce qu'il frappe en premier quand on revoit ce dessin-animé en ayant mûri, c'est de se rendre compte de la maîtrise accomplie entre le cynisme et la bienveillance. D'aspect enfantin à cause de son trait grossier et ses couleurs parfois prononcées, cette série animée décrit une banlieue insolite, dans laquelle les farces douteuses et les malheurs prennent souvent une haute place. Bartlett n'hésite pas à aborder la discrimination et la marginalisation de manière plutôt crue pour un programme destiné au jeune public : les ennuis (guerre, trafic de banlieue, monde des gangsters) et l'attitude souvent peu exemplaire de certains protagonistes (la bêtise de Harold et les magouilles d'Oscar, par exemple) sont traités véritablement. C'est un cadre triste, cruel et souvent sinistre où réside Arnold, le "héros" qui apparait dans ce contexte comme un marginal assumant pleinement sa joie de vivre. C'est grâce à lui que les problèmes des autres sont résolus ; en cela, il est l'incarnation de l'espoir dans cet univers. Et c'est exactement dans ce point précis que "Hé Arnold" apparait comme original : Arnold, le seul personnage vraiment positif, arrive à se sentir à l'aise dans ce climat exigeant, ce monde cru qui est vu de son point de vue. "Hé Arnold" montre parfaitement le monde des adultes vu par l'œil d'enfant, un message optimiste qui conseille de vivre pleinement ses journées même en sachant qu'elle sera remplie de coups durs. C'est cette ambiance tiède, entre candeur et cruauté de la vie, représentée magistralement par la musique belle et mélancolique de cette série, qui définit à elle seule la singularité de cet univers.
C'est une série animée essentiellement focalisée sur les personnages, proche de la structure de "Les Simpsons" moins délirante et plus douce-amère toutefois. L'humour est à la fois bon enfant et ironique : il se dégage un point de vue complice avec le spectateur qui rigole malgré lui des situations périlleuses dans lesquelles se retrouvent les personnages. Arnold affichant une générosité inépuisable et presque inhumaine, c'est plutôt son entourage autour de lui qui s'embourbe dans le pétrin de différentes manières. Le portrait de chaque personnage est plutôt naturel : qu'il s'agisse des adultes ou des enfants (les grands-parents joviaux mais excentriques, la famille Pataki peu recommandable mais amusante, les camarades de classes filous mais sincères), la galerie reste attachante malgré des fautes de comportement.
Et, bien évidemment, comment parler de "Hé Arnold !" sans évoquer son personnage le plus marquant, Helga ? Helga Pataki est tellement un personnage irrésistible qu'elle est devenue en un rien de temps l'icône de cette série. Jeune fille solitaire et souffrant de son manque de considération dans son entourage (même de sa propre famille), elle est tombée instantanément folle amoureuse du gentil Arnold. Mais, refusant spontanément de lui avouer devant lui, elle a développé en elle-même une personnalité forte et agressive qui pousse à rejeter violemment Arnold et à survivre indépendamment des aléas cruels de la vie. C'est un personnage totalement imprévisible, car Helga fait preuve de sauts d'humeur soudains, qui lui font aimer en secret et rejeter en public Arnold, qui lui empoisonnent à chaque fois sa liberté de choisir ce qu'elle veut. Abordant de multiples facettes de sa personnalité de manière brutale peu commune, Helga est intéressante en tant qu'antagoniste du héros. A la fois ennemie et amie, sa palette d'émotions l'enrichit constamment à chaque épisode, de sorte à ce que le spectateur comprenne ce qu'elle endure à travers ses sauts d'humeur et sa passion compulsive pour Arnold. On la rejette, on entre en empathie et finalement, on rit de bon cœur de ses changements émotifs, tout en sachant que son secret n'est pas si bien gardé, sauf en ce qui concerne Arnold justement, aveugle et décidément naïf à chaque instant. Helga est devenue le pivot de la série et elle est le deuxième protagoniste principal ; c'est simple : on trouve facilement plus de la moitié d'épisodes consacrés à Helga plus que des épisodes centrés sur Arnold. L'épisode "Helga chez le psy" peut être considéré comme le meilleur dédié à ce personnage en particulier, qui lui donne une signification touchante à sa personnalité instable.
Avec Helga, ce personnage délicat pour un très jeune public à cause de son hystérie constante (retranscrite à merveille par sa voix française, bien plus étrangement que par sa voix originale trop adulte selon moi), cette série animée phénomène des années 90-2000 peut déstabiliser par son graphisme particulier mais est attachante grâce à des intentions originales. Craig Bartlett a créé un univers doux-amer, à la fois cynique, qui se moque véritablement de son propre graphisme, et poétique, racontant le parcours idyllique d'un garçon mélancolique, marqué par un manque important dans sa vie, mais éperdument optimiste à chaque moment de sa jeunesse.
"Hé Arnold !" est une série animée très attachante, parfois bon enfant et maladroit, mais offrant un beau message aux enfants : une ode à la joie de vivre, peu importe la dureté des situations qu'elle présente !