Je n'écris pas souvent de critiques sur ce site mais après avoir vu Moonage Daydream au cinéma, et au vu des critiques dithyrambiques sur ce site qui vont totalement à l'encontre de mon propre avis et de l'écrasante majorité des personnes présentes dans la salle lorsque j'ai visionné le film, j'ai trouvé qu'il était nécessaire de poser ma pierre à l'édifice.
Avant toute chose, je suis un très grand admirateur de David Bowie. C'est même mon artiste préféré. C'est dire que j'attendais beaucoup de ce film. Je le dis car c'est important de savoir d'où la critique part.
Quelle déception... quelle déception !! Après des mois d'attente donc, je ressors furieux de la salle de cinéma. J'attendais tellement de ce film parce que c'était le premier reconnu par les ayants droits de Bowie. Ce qui voulait dire qu'on allait avoir plein d'images inédites et on aurait pu espérer une sorte d'adoubement du réalisateur et de sa démarche. Au final, j'espère que ce dernier tombera dans l’oubli… mais j’y reviendrais à la fin de ma critique. Tout au long de cette dernière, je vais beaucoup parler de la différence entre ce qu'était Bowie en réalité et la différence énorme avec l'image qui est donnée de lui dans le film. Alors biensûr, je ne connaissais pas Bowie personnellement (dommage) mais pour n'importe qui, comme moi, ayant épluché un nombre incalculable d'interview, regardé des vidéos du bonhomme et entendu ses proches parler de lui, on a du mal à croire que le portrait proposé par Brett Morgen soit fidèle.
Un projet prometteur
Tout d'abord, je tiens à dire que les images inédites font plaisir à voir. Les scènes de concert sont superbes et dans l'ensemble bien montées. C'est bien dans celles-ci que l'on est traversé par le souffle de Bowie et que l'on est témoin de son talent. Le montage proposé par le film de Brett Morgen lors des scènes de concert est à la fois touchant et galvanisant. Ces moments dénotent avec le reste car c'est bien les seuls moments où le chanteur paraît "humain". Par "humain", je veux dire palpable, identifiable, réaliste. En effet, durant tout le film David Bowie semble si loin de nous. D'abord, parce qu'il est mort certes... mais aussi car il semble voler si haut, beaucoup plus haut que nous. Qu'il nous regarde à distance, lui qui semble avoir transcendé son existence au risque de le rendre froid, détaché si ce n'est carrément insupportable à nos yeux. J'y reviendrais plus tard, revenons aux points positifs. Ce fut un plaisir de voir des peintures de Bowie. Je ne suis pas certain qu’elles étaient inédites mais en tous cas je ne les avais jamais vues.
L'idée de départ est pourtant bonne et le film démarre plutôt bien si l'on oublie la citation d'ouverture en blanc sur noir, préfigurant la tournure du documentaire... Dans la première partie du film, on nous présente Bowie, période Ziggy Stardust. Le ton est à la célébration ; extatique même. Ziggy a le pouvoir de mettre des foules de jeunes gens en délire. Malgré tout, on nous présente un David Bowie accessible et qui répond à des interlocuteurs notamment dans des interview. Dans celle-ci, il est face à la réalité. L'animateur qui l'interroge est stupide et ne pose pas de grandes questions mais il représente le commun des mortels qui rencontre Ziggy Stardust pour la première fois comme bon nombre de ces contemporains ; idée intéressante. Bowie se montre je le disais accessible. On est témoins de sa répartie, de son intelligence mais aussi d'un certain détachement, d'un flegme et d'un humour bien anglais, bref, d'une certaine légèreté. Je souligne cela car pendant tout le reste du film, David Bowie n'apparaît plus jamais aussi accessible, il s’extirpe très vite de la sphère des simples mortels.
Cette ouverture de la carrière de Bowie sur la période Ziggy est un choix somme toute classique, sans grande originalité, occultant la carrière de l'artiste avant 1972. Sachant que Bowie se lance dans la musique dès 1962... ça fait une belle ellipse ! Je vois bien que c'est un choix du réalisateur. On nous le montre bien d'ailleurs dans le film. Bien avant que Bowie n’apparaisse à l'écran, on nous fait comprendre avec des images issus de films de SF que quelque chose est entré en contact avec l'humanité. Cette entité se pose sur Terre TADAAAAA c'est Ziggy/Bowie. Le problème avec cet écueil c'est qu'il reflète le principal problème du film. En ne traitant pas de l'accession de Bowie au statut de star, on lui retire son humanité et on l'idéalise.
Bowie déifié, le miroir déformant
Moonage Daydream est un film fanatique. Tout est fait pour déshumaniser l'artiste. Rien de plus normal puisque le projet est ici de déifier Bowie. Ce projet déjà me pose problème car c'est si éloigné de ce à quoi aspirait l'artiste dans sa vie. Lui qui brillait par sa simplicité, sa lucidité, son humilité et sa légèreté auprès de ses proches et des gens qui l'ont croisé. On lui brosse un portrait de demi-dieu. Non-sens. Déni de la réalité. Mais c'est un choix artistique, je peux ne pas être d'accord mais cela n'est pas une justification pour descendre le film et lui mettre une note si basse. Brett Morgen a fait le choix de la déification : d'accord. Mais est-ce qu'il le fait bien ? Là par contre j'objecte que non, il a complètement raté son coup. A part rendre Bowie détestable, prétentieux et assommant à coup de citations pseudo-philosophiques sorties de leur contexte, Morgen n'arrive pas à nous faire aimer son Dieu. Et bordel que c'est long... Des pans entiers de la vie de l'artiste sont passés sous silence mais le film dure quasi 2h30 parce qu’il est truffé de moments méditatifs sans intérêt qui tournent à vide. Le film se voulait sensoriel mais au final il tourne autour du pot et a du mal à cacher qu’en fait, Brett Morgen n’a rien à dire de nouveau sur David Bowie. Certes il innove sur la forme mais à quoi bon ? Moonage Daydream est un film expérimental sans concept. Une coquille vide aux choix douteux et même pas jolie. Que dire des tours de chiffres à la Matrix pendant le Hallo Spaceboy pollué par des bruits d’explosions et de distorsions additionnels assourdissants ? Selon moi, ce n’est pas une approche formelle originale. C’est de la poudre aux yeux pseudo-arty qui gesticule frénétiquement devant nous et fait beaucoup de bruit pour nous réveiller de temps en temps et faire oublier sa vacuité.
Autre chose qui me pose problème : le fait que David Bowie soit montré quasiment toujours seul. Il fait de la musique seul, il fait de la scène seul. Il produit des chefs d’œuvres seul... Brett Morgen fait passer l'artiste pour un homme fort peu humble. Ce qui est criminel tant la différence avec la réalité est grande. (Bowie a toujours bien choisi ses collaborateurs et les a toujours mis en avant dès qu'il le pouvait) Il parle également seul. Autant j’adore entendre Bowie chanter et parler en interview mais l’entendre artificiellement soliloquer sous la forme d’un montage hasardeux de phrases paraissant plus ou moins inspirées selon la façon dont elles ont été extirpées de tout contexte, j’aime beaucoup moins.
Avec le recul, je me rends compte que sur la forme, le film n’est certes pas terrible à cause de ces choix esthétiques douteux et sa paresse narrative. Mais le fait que Moonage Daydream trahisse l'homme qu'il dépeint le tout sur une longueur injustifiée et injustifiable, ça c’est énervant. C’est bien sur le fond que Moonage Daydream est profondément problématique. Le fruit est pourri de l'intérieur par une sorte de fanatisme adolescent dont fait preuve le film autour de Bowie. Ce qui est regrettable voire dangereux à plusieurs égards. Tout d'abord parce que le film est formellement raté pour les raisons que j'ai expliquées plus tôt ce qui n'est pas top pour laisser une image positive d'un artiste. De plus, les personnes qui ne connaissent pas Bowie ressortent de ce film avec une idée plutôt négative du bonhomme au vu de la facette peu avenante qui nous est montrée de lui ; une image déformée et faussée à cause de l'absence totale de contexte la plupart du temps. Enfin, de par son statut de seul et unique film autorisé par les ayants-droits, il a de quoi faire « autorité » et peut, par ce statut, tomber dans une forme de postérité voire pourquoi pas, devenir LA porte d'entrée pour les générations futures pour entrer en contact avec David Bowie, l'homme (après bien sûr sa propre création). Voilà le plus dommageable.
Le clou du spectacle…
C’est bel et bien dans le fond encore plus que sur la forme que j’en veux aux personnes à l’origine de ce film. Pour terminer cette critique, je pense qu’il faut parler de ce qu’il y autour de lui afin de creuser davantage et comprendre ce qu’il y a de honteusement dérangeant dans ce film. Il est vrai que je sors de la critique pure du matériau filmique qu’est Moonage Daydream, mais vous allez comprendre pourquoi selon moi ce pas de côté est nécessaire.
Moonage Daydream est le seul film reconnu et autorisé par les ayants-droits à ce jour sur l’immense artiste que représente David Bowie et ce dernier de son vivant a toujours refusé qu’on en fasse un. La sortie de ce film ainsi adoubé est donc un événement qui le propulse au-dessus des nombreux documentaires non-officiels précédents sur l'artiste (dont certains sont excellents) Le film a eu un traitement de faveur, de par sa conception (Brett Morgen a eu accès à des centaines d'heures d'images inédites) et par sa diffusion (projection à Cannes hors compétition notamment) De plus, la sortie de Moonage Daydream coïncide avec la fin (?) d'une période marketing qui dure depuis janvier 2022 : BOWIE 75, célébrant les 75 ans de la naissance de l'artiste. Dans l'idée, c'est chouette, c'est l'occasion de fêter le génie du bonhomme et de se replonger dans son catalogue... Oui mais, c'est aussi l'occasion de se faire du blé. Pour l'occasion, on ressort plein de disques de démos, de concerts, de titres inédits. On vend également des t-shirts, des cravates, des posters, des tableaux, des bandanas et même des bavettes pour bébé à l'effigie de l'événement (il y a aussi des colliers pour chien, un Monopoly, une mallette de Poker, le tout à des prix exorbitants…je pourrais continuer la liste pour pointer l’indécence sans limite mais je pense que vous avez compris l’idée) D'autant plus que depuis 2017 les campagnes de merchandising autour de Bowie ne cessent de prendre de l’ampleur et Bowie75 en est le point culminant. Je vous laisse le plaisir de visiter le site Bowie75 si vous n'avez pas peur d'être dégouté par l'avarice des mêmes personnes qui autorisent et contribuent à la sortie de Moonage Daydream.
Car nous voilà au fin fond du problème... Alors on reprend : Moonage Daydream, que l'on nous présente comme "expérimental" n'est qu'une coquille vide ratée sur la forme par des mauvais choix esthétiques et narratifs, sur le fond en passant Bowie à travers un miroir déformant dans lequel ce dernier est déifié et rendu peu avenant aux yeux du public ce qui va à l’encontre de la philosophie de vie du chanteur - alors même que le film se veut être un reflet d’une entité quintessentielle de David Bowie. Mais surtout, tout cela s'inscrit dans une démarche commerciale qui vise à faire de l’argent sur le dos d’un mort. Voilà pour moi en quoi réside le vice de ce projet « artistique » Je suis furieux que ce film existe. Comme le dit Bowie dans le film (et c'est la seule phrase qu'il sera utile de retenir) "Don't waste any minute" ne perdez pas de temps (et votre argent) et n'allez pas voir ce film je vous promets que vous ferez plus du mal que de bien à vous-même ainsi qu'à la mémoire d'un artiste majeur.