Distinguons, si vous le voulez bien, l’identification d’une authentique bouse certifiée de la simple divergence de goût. En l’espèce, je penche, sans grande conviction il est vrai, pour la seconde option. Ce documentaire m’a assez largement ennuyé, mais il faut reconnaître à son auteur la volonté de créer un objet filmique particulier. Avec lequel je suis en total désaccord.
La consultation du casting offre un résumé parfait des raisons pour lesquelles je n’ai pas adhéré au projet : sous la photo du chanteur, on lit « David Bowie : Lui-même ». Et c’est tout. Il est le seul crédité.
Le chanteur n’est jamais montré discutant avec une autre personne. Il n’est jamais montré dans une relation humaine. Il est montré seul, toujours, drapé dans son statut d’artiste trônant au-dessus du commun des mortels. Et Brett Morgen de nous abreuver uniquement de séquences au cours desquelles Bowie nous assomme de théories new-age d’inspiration bouddhistes plus ou moins foireuses et qui ne feraient pas frémir un premier communiant. Qui a besoin qu’on lui explique que l’univers n’est que chaos, que l’impermanence en est une loi intangible, et que lorsque le balancier part d’un coté, il va forcément revenir de l’autre ? On a évité, de justesse je pense, le coup du battement d’ailes de papillon… Mais on a quand même eu droit au « Dieu est mort » nietzschéen...
Suite logique à ce qui précède, nous n’avons d’images de Bowie qu’en situation de représentation. Des extraits de concerts bien-sûr. Des extraits de documentaires sur lui-même où on le voit peindre ou prendre le bateau. Mais également, des interviews au cours desquelles il répond habilement à des questions débiles du style « Est-ce que vous êtes David Bowie ou Ziggy Stardust ? » genre, il ne s’attendait pas du tout à ce qu’on aille sur ce terrain. Un exercice totalement vain donc. Sur une scène comme sur un plateau télé, n’importe quelle personne un peu sensée sait qu’elle participe à un spectacle, a fortiori une rock-star. On reste à la surface, dans l’écume.
A coté de tout ce brassage d’air, Brett ne propose pas une seconde de Bowie en situation de vie. De ces images qui à l’origine ne devraient pas dépasser le cercle privé, ou alors prise sur le vif, sans prévenir, et/ou discrètement, et dans lesquelles le sujet se montrerait au naturel. Pas non plus une seule apparition de quiconque l’aurait bien connu et parlerait de leurs rapports, ou raconterait une anecdote significative.
Pour moi, l’intérêt d’un documentaire sur un monstre sacré résiderait justement dans l’exposition de tout ce qui en fait une personne humaine. Comment par exemple s’articulent sa personnalité, sa vision du monde et sa créativité. Qu’est-ce que c’est, être David Bowie ? Or, sauf à la marge, en interprétant et recoupant quelques passages, tout le procédé filmique, aussi bien dans sa forme que dans son fond, ne vise qu’à asseoir la rock-star dans ce statut. A certifier son génie. A prouver une origine surnaturelle à sa créativité. A montrer son essence quasi-divine. Dans certaines séquences, les images psychédéliques qui accompagnent le son visent vraisemblablement à nous élever à un niveau de compréhension de la musique que nous n’avions pas, crétins que nous sommes, perçus de nous-même. En résumé, Brett Morgen s’emploie à élever un piédestal encore plus haut que celui sur lequel trônait déjà Bowie. Personnellement, je ne vois pas l’intérêt.