Le mois de février s'annonce grandiose avec les sorties de Silence de Martin Scorsese, Loving de Jeff Nichols, Fences de Denzel Washington et Lion de Garth Davis pour ne citer que les plus prestigieux. Mais celui qui a l'immense honneur d'ouvrir le bal, c'est le très attendu Moonlight de Barry Jenkins.
Le film croule sous les critiques dithyrambiques, a reçu le golden globe du meilleur film dramatique devant le magnifique Manchester by the Sea et obtenu 8 nominations pour la 89ème cérémonie des oscars. Devant un tel déferlent de louanges, prix et nominations, l'attente devient immense, au point de me rendre à une avant-première pour ne pas devoir encore attendre deux jours de plus.
Le film s'ouvre sur Every nigger is a star de Boris Gardener, récemment remis au gout du jour par Kendrick Lamar dans son immense album Pimp a Butterfly. La chanson s'échappe du véhicule conduit par Juan (Mahershala Ali), venant vérifier si les affaires marchent bien auprès d'un de ses "soldats". La caméra de Barry Jenkins tourne autour de ces deux hommes, échangeant brièvement alors que leurs regards se perdent au loin sous le soleil de Miami. Au même moment, Little (Alex R. Hibbert) est poursuivi par d'autres enfants et trouve refuge dans un immeuble abandonné. Il va y faire la rencontre de Juan et sa vie va se jouer en trois actes.
Les trois actes se définissent à travers les étapes importantes de la vie du personnage principal : l'enfant, l'adolescent et l'adulte. Ils ont pour titres : Little, Chiron et Black. Deux surnoms et son prénom. Deux masques et son vrai visage. C'est sa manière de se protéger dans un univers n'acceptant pas sa différence. Il vit dans la difficile cité de Liberty City à Miami, dont le réalisateur Barry Jenkins et le dramaturge Tarell Alvin McCraney (dont le film est une adaptation de sa pièce) ont aussi grandi à des époques différentes. Ces trois personnes ont aussi comme point commun, d'avoir grandi dans un foyer monoparentale avec une mère accroc au crack les voyant comme une anomalie lui faisant honte. En l'absence d'une figure paternelle; mais aussi maternelle; ils vont partir à la recherche de leur identité, tout en affrontant le regard des autres.
La beauté du film réside dans sa retenue, sa nuance et subtilité. Barry Jenkins ne cède pas aux facilités, bien au contraire. Il raconte le parcours d'un enfant devenant un adulte, en évitant de montrer. Il suggère et nous laisse la liberté d'imaginer ce qui se déroule avec en fond la sublime musique de Nicholas Britell et le reflet de la lune sur la mer. Il se dégage une douceur, contrastant avec la violence des mots, regards et gestes à l'encontre de Little, Chiron et Black. La retenue se retrouve aussi dans le mutisme de cet enfant regardant le monde différemment et souffrant en silence. Sa langue va se délier et asséner des vérités qui font mal aux adultes, mais surtout à lui-même. Little est touchant et émouvant. On est en empathie avec lui. Chiron est fragile et on sent sa détresse. On a peur pour lui. Black est un mâle viril, se voulant un nouveau Juan. On ne sait plus qui on a en face de nous. Cette évolution est troublante, le physique est différent, tout comme l'attitude. Ou sont passés Little et Chiron? Qui est ce Black? Qui est-il vraiment?
Les réponses se trouvent dans les belles performances de ses divers interprètes : Alex R. Hibbert, Ashton Sanders et le sosie officiel talentueux de 50 cent, Trevante Rhodes. Ils ont chacun ce "truc", qui les rend brillants, tout comme leur aîné Mahershala Ali. Il y aussi la confirmation du brio d'Andre Holland, mais aussi Naomie Harris et Janelle Monae. De la réalisation à la musique, en passant par la photographie, la lumière, le scénario et le casting, l'oeuvre se révèle l'addition d'une somme de talents en osmose pour nous offrir un des plus beaux moments de cinéma de ce début d'année.