Il y a une religiosité très prégnante dans « Moonlight », non pas celle dune quelconque croyance, mais celle de la spiritualité. A l’image d’un retable surmontant l’autel de la vie, nous avons trois parties. L’une centrale (la N°2) où se joue le destin de l’homme confronté au soi. Celui de gauche représentant les origines (les sources du mal être) et enfin le panneau de droite (clé d’une probable rédemption). Le spectateur se trouve donc témoin d’un parcours, admirablement construit puisqu’il comporte une direction, un but et une origine. Chiron (à l'image du centaure grec) devient peu à peu et malgré lui, une espèce de héros mythologique contemporain, forgé par les affres d’un début d’existence tourmenté. Il est celui qui a survécu. Sa condition d’homme a consisté à réduire ses souffrances et l’injustice dont il a été victime, quelqu’en soit le chemin, sa dignité méritant à ses yeux d’être défendue. C’est un ange déchu de l’éternel combat du bien et du mal.
Pour autant, la caméra de Barry Jenkins n’est en rien subjective, bien au contraire. Il ne déifie pas Chiron et ne glisse jamais sur le terrain de la compassion. Il est fasciné par le personnage qu’il modèle sur les trois âges. Auréolé de pureté (1è partie), les images alternent entre tendresse et tristesse. Frappé par l’injustice (2ème partie) les prises montent crescendo et s’affolent au rythme de l’angoisse et ce qui semble être l’impasse, enfin elles semblent apaisées la puissance de l’homme qui croit être accompli dissimulant mal regrets et remords. On peut y déceler un certain maniérisme (caméra à l’épaule, gros plans trop suggestifs, musique une once trop lyrique…), mais c’est surtout l’expression d’un auteur qui jaillit à l’écran, et une belle focale différenciée aux thèmes traités, racisme, précarité, homosexualité dans un contexte hostile.
Jenkins film juste et s’’est entouré d’une équipe technique d’exception avec entre autre James Lexton à la photo intransigeante, Joi McMillion et Nat Sanders au montage implacable et les thèmes originaux de Nicolas Bretell incisifs et profonds.
Mais la clé de voute de ce superbe « Moonlight » tient au casting dans son ensemble ! Mahershala Ali (en mentor puissant(, Janelle Monae (en seconde mère empathique), Jahrell Jerome l’ami inattendu, Noamie Harris (en mère « noyée ») mais surtout Alex Hibbert, Ashton Sanders et Trevante Rhodes (Chiron aux trois époques) donnent non seulement leur talent mais surtout leur âme aux personnages et font de ce terrible drame une œuvre puissante et terriblement émouvante !
Dans les années 80 Stephen Frears nous livrait une histoire un peu similaire jouant sur le racisme, la pauvreté et l’homosexualité, le film s’appelait « My beautiful laundrette ». Trente ans après la fracture s’est encore creusée, et les blessures sont plus profondes et douloureuses. Et mêm si sous la lune le noir devient bleu, pour certains c’est bleu comme l’enfer !