En sortant de Moonlight, j’étais partagé. D’un côté y’avait des trucs oufs dedans puis de l’autre, des défauts assez évidents.


Puis progressivement, comme pour The Revenant l’an dernier, les réserves que je pouvais émettre sur le film en sortant de la salle se sont dissipées, emportées par ses qualités mais surtout par une puissance dramatique assez ouf.


Contrairement à ce que l’on pourrait croire, Moonlight est un film dur malgré (grâce ?) à son refus permanent du pathos et de la sensiblerie. La violence sociale y est mise en scène avec délicatesse et sensibilité notamment grâce à une réalisation travaillée et apaisante, mais la photographie a beau être superbe, le montage impeccable, ça n’atténue en rien la brutalité de l’homophobie dont est victime le héros.


Parlons-en du héros. Qu’on l’appelle Chiron, Little, Black ou B, il est prisonnier d’une solitude bouleversante contre laquelle même les seconds rôles lumineux et pleins de bonté qui l’entourent ne peuvent rien. Les trois acteurs qui l’interprètent aux 3 périodes de sa vie sont tous excellents, aidés en cela par une économie de mots qui laisse la part belle aux regards perdus et aux gestes mal assurés en plus de servir parfaitement le propos de Jenkins. Chacun à leur manière, ils incarnent d’une façon déchirante cette solitude qui ne quitte jamais le héros et tous ont au moins une scène qui te noue la gorge jusqu’à la fin du film, absolument déchirante.


On va pas se mentir, si Moonlight a eu l’Oscar aux dépends de La la land, c’est sans doute parce que ce qu’il montre, ce qu’il dit, est important.


Moonlight est un film osé qui se réapproprie certains codes visuels du rap pour mieux déconstruire notre perception de la masculinité et de ses injonctions, étroitement liées à l’homophobie latente de notre société. Oui Barry Jenkins s’égare parfois en route, oui il foire un peu son dernier tiers, moins équilibré et moins travaillé visuellement, mais il mérite tout notre respect pour s’être emparé d’un sujet ô combien tabou sans jamais tomber dans la facilité.


Il aurait pu faire de son héros une mauviette, un excentrique, un fils à maman ou une sorte d'intello (ce qui aurait entretenu la confusion quant aux réelles raisons du harcèlement dont il est victime), mais non. Il en fait Juste un Noir normal comme on en voit tous les jours. C'est la meilleure façon de forcer les gens à regarder la réalité en face et à accepter l’homosexualité pour ce qu’elle est, une préférence sexuelle, nullement une différence.
La nuance est capitale parce que pour paraphraser je ne sais plus qui, les guerres, les conflits ou la violence ne naissent de grosses divergences ou de désaccords profonds, mais d’une toute petite différence qui n’est plus tolérée.


En cela, Moonlight est un film important. Et j’ose même pas imaginer l’impact qu’il pourrait avoir pour un jeune homo noir voire pour un jeune homo tout court.


Revenons deux secondes aux persos secondaires, tous formidables et finalement servis par un temps de présence restreint à l’écran et des ellipses qui les empêchent de sombrer dans la caricature.
Evidemment, on regrettera que le personnage de Mahershala Ali soit sacrifié aussi vie, mais son peu de temps à l’écran contribue à n’en pas douter à en faire un grand personnage de cinéma inoubliable, notamment grâce à une scène bouleversante, parfait concentrée de l’intelligence et de la sensibilité du film.
Jenkins aurait pu en faire un prototyê de dur à cuire du ghetto, macho et homophobe, mais non, il tord le cou aux clichés, et ça ne fait jamais forcé. Pourquoi ? Parce que ce perso, comme tous les persos, sont à l’image du film, sincères.


Cette sincérité (et la délicatesse du film) est la clé de voûte de Moonlight. Elle fait qu’on lui passe ses quelques défauts et sa narration parfois imparfaite dans laquelle tout ne s’emboîte pas toujours parfaitement. Et en même temps, qu’est-ce qu’on s’en bat les couilles ? Combien de films proposent des personnages aussi magnifiques et un message aussi important renforcés par un montage brillant une mise en scène visuellement superbe ?

Mogadishow
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le 28 déc. 2017

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Mogadishow

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