Moonrise Kingdom, tuons le suspens d'entrée, ne sera pas la Palme d'Or à moins d'une surprise monumentale. Il n'en demeure pas moins que le septième long-métrage de Wes Anderson a tout du film-somme de l'art de son réalisateur. On retrouve l'esthétique si particulière d'Anderson, son goût pour les couleurs acidulées, son cadrage fignolé au centimètre, ses personnages ripolinés et son humour raffiné teinté de cruauté. Les connaisseurs seront en terrain conquis, les détracteurs y verront encore des affèteries de mise en scène, toujours est-il qu'Anderson, à défaut de prendre des risques, parfait son style avec son oeuvre sans doute la plus travaillée graphiquement.
Je suis persuadé que plastiquement, ce film sera le plus beau de la sélection. Chaque plan est construit avec une effrayante minutie et fourmille de détails tantôt cocasses, tantôt saisissants, tantôt émouvants... Chaque plan amène son émotion et sa teinte à la scène, Anderson pensant chaque séquence plus comme une succession de plan-tableaux, privilégiant les courtes ellipses pour imprimer le rythme de son récit. Moonrise Kingdom est une oeuvre formaliste certes, mais jamais froide, d'une perfection graphique euphorisante. Le travail sur le grain de l'image, saisissant, nous offre des plans qu'on croirait d'époque et le résultat en est enchanteur.
Ce film est le royaume du mignon. Tout y est beau, à l'image de la relation que nouent ces deux jeunes amoureux à peine sortis de l'enfance, complice et passionnée, teinté d'un léger érotisme estival où les corps adolescents parfois se dénudent, fait plutôt rare dans l'univers souvent assez désexualisé d'Anderson. Ces scènes de fugue, de liberté, nous transportent et nous émeuvent en voyant ces deux personnes si jeunes s'aimer déjà si tendrement. Poursuivis par leurs parents, par l'autorité, ces Roméo et Juliette en tenue de scout et robe col Claudine sont l'âme et le moteur du film. Il n'en demeure pas moins que le reste du casting est à l'avenant, entre un Bruce Willis parfait dans le contre-emploi, un Edward Norton impeccable en scout propret et intègre et "Dieu" Bill Murray, toujours aussi à l'aise dans son style blasé et loufoque qui sied à merveille à la patte Anderson.
Tout concourt au final pour faire de Moonrise Kingdom une totale réussite, un Wes Anderson de très grande qualité qui, sans égaler son chef-d'oeuvre que constitue Rushmore, s'avère être la parfaite synthèse d'un des cinéastes les plus singuliers, les plus doués et les plus attachants de la production indépendante américaine.