En quelques lignes
En 1965, l’île de New-Penzance est le théâtre de l’évasion amoureuse de Sam, scout orphelin, et de Suzy, jeune fille rebelle. La communauté de l’île se mobilise pour retrouver les deux enfants.
En un peu plus
On pourrait s’attarder sur les obsessions de Wes Anderson, cinéaste maniaque dont le style est reconnaissable entre tous, de Rushmore au plus récent Asteroid City : compositions symétriques, palette de couleurs vives, acteurs récurrents, fétichisme des objets et des décors, prédilection pour les lieux clos ou isolés (maison, train, sous-marin, hôtel, île, désert …), excentricité des personnages, univers rétro hors du temps, narration centrée sur le (dys)fonctionnement de familles ou de communautés.
Moonrise Kingdom coche à l’évidence toutes les cases du bingo andersonien, et en ce sens pourrait ne constituer qu’un délicieux exercice de style. En se plongeant dans le monde du scoutisme des années soixante, Wes Anderson dispose en effet d’un répertoire infini pour déployer, comme un sage copiste de lui-même, sa grammaire unique, et valider ainsi définitivement son statut de cinéaste hipster préféré de la critique indépendante. Seulement, s’arrêter aux gimmicks qui ont fait la marque de fabrique de son auteur serait rater ce qui fait l’intérêt de Moonrise Kingdom et passer à côté du sentiment trouble, entre émotions et émerveillement, que le film peut susciter.
Car si l’île de New-Penzance, avec ses phares de bande-dessinée, ses scouts impayables et son flic de pacotille, est le théâtre d’une aventure pittoresque dans tous les sens du terme, c’est bien le point de vue à travers lequel elle est racontée qui importe. En mettant en scène une histoire d’amour vécue littéralement à hauteur d’enfants – en témoignent les nombreux plans en contre-plongée du film – Wes Anderson opère un dérèglement d’échelle et de perspective, aussi bien visuel que symbolique, qui amène à adopter un regard différent sur le monde. Débarrassés le temps d’une fugue des injonctions des adultes, les enfants de Moonrise Kingdom vivent en effet une existence autonome, utopie (nous sommes sur une île, faut-il le rappeler) dans le cadre de laquelle ils peuvent réaliser des rêves d’ensauvagement, d’héroïsme ou de désir sans qu’aucune autorité ne vienne les rappeler à leur statut. De ce fait, ils deviennent pleinement sujets de leur destin, petits maîtres à bord d’un navire où l’imaginaire est affaire sérieuse. Dans ce contexte, un camp scout prend des airs de cours de répétition de bidasses, une fuite en canoë des allures d’aventure survivaliste, un pique-nique au hot dog celles d’un dîner gastronomique aux chandelles. Quant aux adultes, dans une logique de renversement presque implacable, ils se rappellent aux spectateurs par leur absence, réelle ou symbolique, et par leur comportement enfantin, dans toute l’immaturité que ce mot peut traduire.
L’imaginaire est affaire sérieuse, disait-on. L’enfance aussi, et Moonrise Kingdom, en offrant à cet âge des aspirations, autant qu’à celui de toutes les tempêtes intérieures, un espace enchanté où elle peut s’exprimer loin des adultes (tout en en singeant les expressions codifiées !), la consacre ainsi dans un superbe et tendre écrin.
Et en quelques images:
Bande-annonce alternative: https://youtu.be/XKHUaXkarHQ?feature=shared