Un drame magnifiquement cruel propice à la perfection



  • T'es blessé ? Là.

  • Des garçons de ma classe. Tu vas à quelle école ?

  • Oskar, écoute moi. Il faut riposter. T'as jamais riposté. Pas vrai ? Alors, vas-y. Riposte. Frappe fort.

  • Ils sont trois.

  • Frappe encore plus fort. Frappe aussi fort que tu peux. Et ils arrêteront.

  • Et sinon ?

  • Je t'aiderai. Je peux t'aider.



Morse est très clairement ce que l'on peut appeler une oeuvre Suédoise originale (dans le bon sens du terme) qui marquera le genre à jamais. Tiré du roman Laisse-moi entrer de John Ajvide Lindqvist (que je n'ai pas encore eu la chance de lire mais qui est dans mon viseur) et réalisé par Tomas Alfredson (La Taupe, Le Bonhomme de neige...) dont à la base je ne suis pas un grand fan. Pourtant il faut reconnaître qu'avec ce film le cinéaste a fait un travail incroyable nous transportant totalement dans son univers inhérent et intrinsèque à la cruauté ainsi que la beauté des enfants. La voie d'entrée du récit sert justement d'interrogation envers cette dimension narrative où l'usage et l'omniprésence du scénario sont au service de la technique.


Point surprenant, on n'a vraiment pas l'impression d'assister à un film de vampires tant il présente son contexte de manière si personnel et contrasté. Contrairement à un long métrage de base sur le vampire, qu'il soit excellent ou non, le suceur de sang est présenté régulièrement de manière récursive comme l'antagoniste ou héros violent (30 jours de nuit, Vampire vous avez dit Vampire, Dracula...), ou démontré de manière plus intérieure nous plongeant dans sa vie privée (Entretien avec un vampire, Vampire en toute intimité, Only Lover Left Alive...), Morse fait la différence en s'insérant au service du vampire par un travail de forme et de fond sans fondement qui ne le projette pas sous les projecteurs mais qui le transpose hors de son contraste pour mieux en saisir ses subtilités. Une approche géniale qui interroge et qui fait toute la richesse et la différence de celui-ci.


J'affectionne beaucoup lorsqu'une œuvre se retrouve ainsi révisée au niveau de ses personnages, car à ne pas s'y tromper le sujet même de Morse est le relationnisme affectif et controverse entre deux personnes différentes sans élément de comparaison et d'obligation du genre mettant la pratique du vampire en abyme pour mieux apprécie sa personnalité et son fondement. C'est rare d'être autant ému car c'est une oeuvre déstabilisante qui présente une histoire d'amour qui n'en'est pas tout à fait une, d'une maturité indéniablement marquante. L'émotion est également maîtrisée de sorte à ne jamais en faire trop, c'est comme cela que l'on retrouve même un contexte de jeu cruel entre les deux protagonistes. Une relation étonnante et déroutante qui ne pose aucun jugement de valeur, ni de notion du bien et du mal, basé sur l'intimité entre les deux personnages principaux Oskar et Éli qui portent littéralement le récit et qui sont subtilement, adroitement et magnifiquement décrit.




  • Tu n'as pas froid?

  • J'ai oublié cette sensation.



Oskar (Kare Hedebrant) est un enfant incompris, authentique et touchant se révélant à travers une scène particulièrement forte et dérangeante où on le voit torse nu un couteau à la main imaginant saigner comme une truie ceux le persécutant à l'école. Le jeune comédien livre un exploit de sincérité, c'est tellement bien incarné que cela en est bluffant. On a l'impression qu'avec lui rien n'est forcé tant il présente de manière décontracté et sincère. Son statut de victime isolé, traumatisé et persécuté à l'école est super bien établi. Le personnage captive l'attention sans mal, honnête et loyal pourvu d'humilité et de douceur mais aussi de noirceur due à une ébullition intérieure qui embrase son désir de vengeance. Voulant absolument quitter se tracer de vie journalier d’avilissement et d'abaissement mais n'ayant aucun moyen d'agir, jusqu'à sa rencontre avec sa voisine.


Eli (Lina Leandersson) est très intrigant et énigmatique adoptant un comportement franc et marginal. Elle est superbement interprétée dans un jeu au faciès froid où tout passe avec succès par un simple regard, un geste, une caresse, un sourire. Présenter au départ comme une jeune fille vampire elle se révèle finalement plus compliquée dans son fondement. Eli est à la base un garçon qui une fois devenu vampire a perdu son sexe et c'est éliminé jusqu'à devenir un parfait androgyne. Un élément de taille démontrant l'étendue de la relation qui les anime tous deux. Une communion d'amour appelé par un désir de sang, l'une pour s'en nourrir et l'autre pour la vengeance qui les mènent vers une histoire d’amour sensible.


La surprise d'une rencontre amicale et réciproque de laquelle naîtra une relation rare tout à fait sincère sans le moindre ajustement de paillette (ce n'est pas une histoire d'amour de vampire pour préado à l'eau de rose) qui se transformera en amour sans jugement de valeur malgré le danger et les risquent qu’imposent leurs relations. Une relation qui se noue à travers la communication, la familiarisation, la séduction et le sang qui fonctionne dès la première séquence d'ouverture tant elle confère un statut épistémologique au récit et vient à nous faire considérer la puissance et les valeurs de la diversité par des liens entre deux espèces différentes à travers des liaisons communicationnelle comme le morse ou la sincérité et la simplicité d'un geste qui tisse le lien avec son contexte. Les répliques entre Éli et Oskar sont toujours parfaitement calibré et élaboré. Mais je tiens à rassurer on fait tout de même face à un genre vampire avec un droit de scènes d'attaque violente et ensanglantée avec un appui horrifique accentué sur l'humiliation.




  • Tu ne dois pas te laisser faire. Il faut que tu leurs rendes leurs coups.

  • Ils sont trois ! Ils sont trop forts.

  • Tu dois leurs rendre encore plus fort. Encore plus fort que tu n'imagines, ils ne s'arrêteront que comme ça.



Le long métrage frappe violemment dans l'ajustement de cette relation qui prend des proportions déroutantes car l'on sait qu'Éli ne vieillira jamais a l'inverse d'Oskar qui fatalement verra son organisme vieillir à mesure qu'il évoluera. C'est ainsi que fatalement à travers le temps d'ami-amoureux, il deviendra protecteur, puis un père, pour finalement devenir un vieillard servant de serviteur au jeune vampire qui finira inexorablement par se désintéresser de lui et passera à quelqu'un d'autre de plus jeune. Tout comme est présenté le superbe personnage Hakan (Par Ragnar) incarnant au départ une sorte de grand-père serviteur à Éli d'où l'ont finis par saisir que lui-même était autrefois un Oskar épris de sa belle qui a réellement dû tisser un fort lien amical-amoureux avec, mais qui à cause de l'effet du temps aura finis par se rompre (même si apparemment dans le roman se serait différent du film sur ce point).


Hakan est très expressif dès les premières images on le voit entièrement dévoué à sa cause, comprenant lui-même que le temps la vaincue et qu'Oskar sera son remplaçant, il accepte sa mort. Une telle approche est juste magnifique, cruel et d'une maturité sans failles, poignant et d'une cruauté tristement édifiante, car l'on sait qu'en définitive il arrivera la même chose à Oskar. L'on peut à la limite espérer qu'Oskar sera celui qui marquera la différence et obtiendra l'immortalité d'Éli pour qu'ils restent ensemble toute l'éternité, mais ceci on ne le saura jamais car le cinéaste laisse libre cours à ce qui pourrait advenir de la suite à ce couple.


Si c’est la fin d’une histoire, c’est le début d’une autre.


Les héros de cette pièce fantastique dramatique sont entourés par une multitude de personnages tous différents qui n'ont pas les mêmes données de compréhension sur ce qui se passe, mais qui sont terriblement moroses et meurtris par leur environnement. Entre un père détruit et isolé par l'alcoolisme; une mère seule incapable de gérer et de comprendre son fils; des gamins paumés avec pour seul moteur de reconnaissance d'existence que le harcèlement afin de montrer qu'ils existent; un homme âgé vivant entouré de ses chats incapable de notifier à la police ce qu'il a vu tant il a perdu le contact avec l'humanité; une femme contaminée par le virus vampirique préférant se refermer sur elle choisissant la mort plutôt que l'aide; ou encore un homme déchiré par la perte de ses amis préférant agir seul pour s'occuper du coupable. En bref une panoplie de personnage intéressant, terriblement déprime qui clairement démontre le sentiment d'isolation qui les anime, comme si en fin de compte seul Oskar et Éli pouvaient en réchapper de par leurs relations, une anormalité pour en réchapper.



Je dois partir et vivre. Ou rester et mourir.



La mise en scène est d'une simplicité et d'une ingéniosité subtilement frappante, elle se défini par une représentation d'images et de gestes calculés aux millimètres près donnant un ensemble représentant une structure analytique de l'image par un renversement de scènes à la causalité hétérogène qui démontre l'exigence évidente de Tomas Alfredson pour ce film, comme avec la vapeur qui sort des bouches où on sent qu'il fait cruellement froid appuyé par des cristaux de glace authentique sur les cheveux d'Éli ou les narines d'Oskar, créant une atmosphère glaciale dans décors blanc et isolé notifiant cet aspect de solitude propre à Oskar et aux autres personnages. Ainsi on obtient un ensemble d'images magnifié par des plans serrer juxtaposé par de la profondeur jusqu'au plan large qui siffle comme une délivrance d'un acte fort. La séquence finale de la piscine en est la représentation parfaite, à la fois techniquement dingue et dramaturgiquement intense.


Les techniciens du son ont fait un remarquable travail sur les divers bruitages de fond à un point où celui-ci en vient à fabriquer l'image. Un effet sonore stimulant l'imaginaire venant à nous suggérer une sensation d'odeur (en plus de l'image) rigoureusement parlant qui démontre bien à quel point le son est une expression artistique capitale pour le cinéma. Les bruits des corps sont clairement les plus mis en avant, une attention particulière sur la respiration mais aussi sur tant d'autres points comme lorsqu'ils reniflent, avalent... Allant jusqu'à l'écoulement de sang ou encore le bruit d'un mouvement de langue ou de lèvres.


La musique est signée Johan Soderqvist connu pour son travail de composition sur Golem le tueur de Londres, Insensibles, Kon-Tiki... présentant plusieurs pistes chargées de thèmes envoûtants et sombres qui parviennent toujours à être à la fois douloureusement mélancolique et merveilleux.



CONCLUSION :



Morse est une oeuvre qui donne du sens à cette expérience cinématographique ou la perspective d'un sentiment de plénitude et de surprise devant une telle découverte porte à ébullition au moment de sa conclusion. Ce récit fictionnel donne forme à un univers tellement sensoriel et réel qu'il confère une sorte de droit à la réalité.


Le film de vampires le plus beau et saisissant qui m'est été donné de voir. Un chef-d'oeuvre !

Créée

le 3 mars 2019

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