Par sa réussite, le film pose le problème de l'adaptation d'un univers littéraire à l'écran, et spécialement celui d'Agatha Christie qui est presque essentiellement verbal. Constitué de discussions, explications, interrogations, révélations... il est donc encore plus difficile à adapter, et Anthony Shaffer a réussi le prodige de transposer et même de réécrire brillamment le roman en le renouvelant intégralement. Le résultat ainsi livré à John Guillermin, celui-ci le réalisa avec un brio technique en un heureux mélange d'exotisme, de mystère et d'humour anglo-saxon.
Le début, peu attractif, s'avère cependant nécessaire pour comprendre le mobile des meurtres, et dès que les passagers sont à l'hôtel puis sur le bateau, l'aventure devient un régal, et Hercule Poirot peut se livrer à son méticuleux travail d'observation pour faire fonctionner ses "petites cellules grises". Le réalisateur utilise l'espace (fleuve, bateau, désert, monuments) sans pour autant délaisser le huis-clos cher à miss Christie. Humour, rythme, sens de l'action, dialogue brillant, et splendides paysages égyptiens filmés par la caméra de Jack Cardiff, sur la musique mélancolique de Nino Rota... tout est bien en place. L'originalité réside dans la visualisation de toutes les hypothèses de Poirot concernant le criminel.
Le choix de Peter Ustinov est judicieux, il incarnait pour la première fois le célèbre détective belge (et non français comme il se plait à le répéter), en dominant l'ensemble d'une distribution prestigieuse, à tel point qu'il va marquer le rôle grâce à ses tics et ses petites manies, et en s'amusant comme un fou à prendre un fort accent français ; il a parfaitement saisi le personnage et livre une prestation inoubliable et savoureuse. L'ensemble de l'interprétation fait preuve d'une succession de belles performances, le spectateur ne peut que se laisser entraîner avec jubilation dans cette enquête aux multiples suspects et diaboliquement agencée par le génie de la romancière.
Un élégant divertissement au charme rétro et qui brocarde de façon subtile l'hypocrisie de la haute société de ces années 20.