Agatha Christie avait l’art de croquer ses personnages avec ce savant mélange d’élégance et de rugosité qui tenait le spectateur en haleine jusqu’à la dernière page. Kenneth Branagh oublie les personnages et se contente de filmer des acteurs, pire des images d’acteurs studio censés ici s’émerveiller d’une Égypte à leur effigie, comprenons numérique. Tout semble fait pour illustrer la couverture de divers magasines, depuis la reconstitution ludique de la Grande Guerre avec sa déambulation initiale dans les tranchées rappelant un certain 1917 (Sam Mendes, 2019) jusqu’aux couchers de soleil artificiels sur un Nil tout aussi faux. La mise en scène place Hercule Poirot au centre de chaque plan, ce qui empêche sa posture de témoin d’advenir, troquée contre celle d’un enquêteur super-héros qui finira bien par avoir sa place près de Thor.
Il est terrible de constater à quel point le film n’a pas confiance dans le suspense de l’investigation : tout doit être spectaculaire, chaque entrée, chaque sortie de personnage ; tout doit signifier, donner lieu à un rebondissement, à une suspicion. Au-delà d’être stimulée, la rétine est agressée, détenue malgré elle par un réalisateur démiurge qui a perdu la grâce de ses adaptions de Shakespeare. S’il s’avère un peu plus regardable que l’affreux Orient-Express, Death on the Nile demeure une production sans âme qui atteste un véritable et profond déficit du sens de l’aventure et de l’énigme dans le cinéma contemporain.