Mort sur le Nil – Épisode 2 : la guerre des clones

Bon, moi je veux bien arrêter de jouer le rôle de l’aigri de service mais à un moment donné il va falloir que l’industrie cinématographique m’aide un peu aussi…


Pour le coup, c’est vraiment le casting de luxe et la promesse d’un film à l’ancienne (au moins sur la forme) qui ont fini par m’arracher un déplacement dans les salles obscures.
Je n’attendais rien de l’intrigue dont je me rappelais vaguement (mais sans me souvenir du dénouement), pas plus que je n’attendais une quelconque originalité ni de Kenneth Branagh – peu coutumier du fait – ni de cette industrie qui aime essorer tous les vieux trucs exploitables qui lui passent sous la main…
En plus – j’avais de la chance – j’avais fait l’impasse en 2017 sur la précédente reprise de l’auteur, Le Crime de l’Orient Express, ce qui me préservait donc un minimum d’espoir…
Bref, j’étais vraiment disposé au mieux à l’égard de ce Mort sur le Nil. Mes exigences étaient plus que raisonnables et je n’espérais vraiment qu’AU MINIMUM on sache m’offrir un film passable…
…Et bien pourtant – je vous l’avoue – ça a été compliqué.


« Compliqué » alors que malgré tout ce Mort sur le Nil cuvée 2022 commençait plutôt bien me concernant.
Cette introduction dans les tranchées belges est certes un peu gratuite et superflue au regard de l’ensemble du métrage mais elle se laisse voir, notamment pour sa très belle photo.
Rien d’original j’en conviens mais au moins l’essentiel était assuré par rapport à ce que j’attendais : c’était propre, élégant, plutôt bien joué (si on ausculte l’accent « perfectible » de Kenneth Branagh). En somme tout cela augurait du bon…
…Et puis c’est à partir de là qu’ont commencé les ennuis.


D’abord il y eut la longueur et l’étirement de l’intrigue qui n’en a pas fini de s’installer. Certes le problème n’est pas propre à l’adaptation de Branagh mais le bon vieux dramaturge irlandais – comme à son habitude – n’a rien fait pour le contourner.
Même problème pour ce caractère plan-plan où chaque wagon semble poussé après l’autre, où chaque dialogue se révèle très didactique et répétitif par rapport au précédent ; où l’excès de verbiage rend au bout d’un moment l’intrigue assez lourde et peu digeste…
…Pour toutes ces raisons Mort sur le Nil reste ce lourd paquebot raclant le fond du fleuve et qui peine à manœuvrer ; paquebot d’autant plus inadapté à ces eaux troubles que Kenneth Branagh n’a strictement rien fait pour se sortir de ces pesanteurs originelles.


Alors après j’ai conscience qu’en disant cela je puisse paraitre un brin contradictoire, et en partie à raison.
D’un côté je me plains que Branagh nous fasse les choses en vieux papy qui aime les raideurs des cadres anciens au point de sombrer parfois dans la rigidité de ce théâtre qu’il affectionne tant, mais de l’autre j’avoue que ça apporte parfois un cachet que j’aime bien…
…Un cachet que j’aime d’autant plus que régulièrement Branagh s’efforce de donner à son ensemble un peu de souffle et d’élan avec des plans larges et/ou mouvants. (J’aime par exemple particulièrement bien ce long plan en travelling où on suit Gal Gadot parcourir le Karnak de long en large. Ça n’apporte rien à la narration, mais c’est joli.)


Le souci c’est que Branagh ne se limite pas qu’à ça et s’égare souvent dans toute une série de boursoufflures et de rajouts qui, loin de dynamiser ou de moderniser l’ensemble, n’apportent au final à son film qu’un aspect disgracieux, un peu comme s'il s'agissait d'une sorte d' édition spéciale des adaptations cinématographiques d’Agatha Christie dans le plus pur esprit d'un George Lucas.
Difficile par exemple d’ignorer pas mal de boullasseries numériques, certes parfois compréhensibles et franchement regardables (les panoramiques, les bâtiments),mais d’autres fois bien plus superflues et davantage hideuses (ses trips sur les fonds fluviaux par exemple) quand d’autres moments on touche carrément à l’inutile et au grotesque (serpents, crocodiles et pierres donnent dans ce film l’impression de mater un Marvel le temps de quelques secondes, je dois bien avouer que c’est assez déroutant comme sensation…).


…Et puis il y a toutes ces touches « inclusives » que pour ma part j’ai trouvées particulièrement ratées. Qu’on décide d’intégrer des femmes noires et des hommes indiens, pourquoi pas, mais qu’on sache dans ce cas-là les adapter à l’époque dans laquelle se déroule l’intrigue. Car à se fier à ce Mort sur le Nil le racisme dans les années 30 était déjà visiblement quelque-chose de très minoritaire, très feutré, et appartenant presque déjà à un passé révolu…
Alors je veux bien qu’il y ait actuellement dans le public pas mal de gens « un brin » sensibles et tatillons, mais à un moment donné ce serait quand même sympa d’éviter de briser la suspension consentie d’incrédulité des autres. En ce qui me concerne, j’aurais apprécié d’y croire un minimum, et pour cela il aurait été chouette que j’ai au moins l’impression de mater un film se passant dans les années 30 et non dans un parc Disney.


Idem pour les habillements. Je veux bien que Gal Gadot comme Emma Mckay soient particulièrement bien roulées et que les années folles autorisaient quelques excentricités, mais de là à sombrer dans les chemises transparentes et les soutiens-gorges apparents, je crois que l’ami Kenneth est allé un peu loin dans la réinterprétation de l’époque…
C’est d’ailleurs aussi valable en ce qui concerne certaines danses lascives, certaines pratiques et assumations sexuelles en public… Si Branagh voulait vraiment ancrer son intrigue dans des mœurs plus contemporaines alors il aurait dû inscrire toute son intrigue au XXIe siècle et comme ça le problème aurait été réglé une bonne fois pour toute.
Car le souci c’est que tout ça sonne désespérément creux, hors du temps, comme une reconstitution du Nil dans un parc d’attraction…


Alors après, l’un dans l’autre j’avoue peiner à me positionner.
D’un côté j’aurais envie de reconnaitre que parmi tous les trucs que j’ai pu voir ces derniers temps – entre les quasi copier-coller de comédies musicales déjà vues par tous et les fresques médiévales délavées au bleu de méthylène et à la javel moraliste – ce Mort sur le Nil n’est pas le spectacle le plus honteux qui m’ai été donné de voir ces derniers temps et qu’il s’en sortirait « presque » avec quelques mérites.

Mais d’un autre côté, j’ai beau essayer de m’adapter à mon temps, je ne vois pas pourquoi je devrais travestir mon exaspération face à cette énième déclinaison d’une tragique culture de la reprise à outrance où on nous ressert en permanence ce qu’on a déjà-vu ; ne réduisant la question de l'éventuelle plus-value d'un remake qu'à la seule existence de skins numériques et moralistes bien à la mode du moment mais amenés à périmer aussi vite qu’un Jabba dégueulasse incrusté à la va-vite au sein d'un épisode IV


Alors je veux bien essayer d’être moins aigre la prochaine fois chers lectrices et lecteurs, mais par pitié, que l’industrie arrête aussi de nous faire bouffer tout le temps la même chose...
Un peu de goût et d’audace pour la prochaine fois, personnellement je ne cracherais pas dessus…
…Après c’est peut-être à moi de savoir éviter ces spectacles qui annoncent pourtant leurs intentions gros comme un bateau dès leur affiche.
Des compositions marveliennes comme celle-là devraient nous suffire à l’avenir pour nous faire comprendre dès le premier coup d’œil à quoi on a affaire.
La prochaine fois je m’efforcerai d’être plus prudent. Je sauterai par-dessus bord pour rejoindre la terre ferme, la vraie…
Rassurons-nous après tout, c’est sans danger…
…Car ce n’est pas avec ces crocos empaillés au CGI qu’il y a de quoi flipper. ;-)

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le 19 févr. 2022

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