On ne peut bien sûr que louer la capacité, bien connue depuis les années 70 et la couverture de la guerre du Vietnam, de l’industrie cinématographique américaine pour créer très vite des récits basés sur l’Histoire la plus récente, voire encore en train de se faire : comme s’il s’agissait pour le Cinéma de ne pas trop se laisser distancer par les news – instantanées, elles – sur le terrain du réalisme et de la réalité (deux concepts bien différents, on le sait, et tous deux sujets de plus en plus à caution). "Mosul", le film de Matthew Michael Carnahan, scénariste en vogue dont il s’agit là de la première mise en scène, nous raconte les interventions d’un groupe d’élite, appelé SWAT, nettoyant la ville de Mossoul en Irak des derniers combattants de DAECH y résistant encore : le film a reçu des critiques très positives, en particulier lors de sa présentation au festival de Toronto.
Racheté par Netflix pour être diffusé sur la plateforme, "Mosul" est pourtant loin d’être un chef d’œuvre, ni même d’ailleurs ce qu’on pourrait qualifier de « bon film de guerre », et affiche tant de défauts qu’on a du mal à comprendre les éloges de la critique… à moins que cela ne soit, comme souvent, pour tout un tas de raisons bien éloignées des qualités cinématographiques limitées du film : compassion pour les victimes de l’Etat Islamique, admiration pour les vainqueurs – bien entendu quand ils sont du côté de l’Occident -, et peut-être même félicitations vaguement obséquieuses destinées aux producteurs, les puissants Frères Russo qui ont détrôné James Cameron de la tête du box-office mondial (et qui s’achètent à moindre frais une crédibilité morale après leur déluge décérébré de violence stupide commise par leurs super-héros…).
Si "Mosul" se suit sans déplaisir, il se regarde aussi sans aucune passion, sans que jamais nous ne craignions réellement pour la vie de ses personnages – pourtant abattus un par un, plus pour respecter nous semble-t-il les nouvelles règles de la série TV (tout le monde peut mourir à tout moment, même les personnages principaux) que par souci de réalisme. La faute en revient clairement à une mise en scène sans inspiration, qui ne trouve jamais la bonne distance ni le bon regard pour nous transmettre la moindre sensation de danger, et à de nombreuses erreurs dans le placement de la caméra qui prive plusieurs scènes du réalisme voulu. Dans un registre similaire, même si "la Chute du Faucon Noir" n’était pas exempt de graves problèmes, le travail de Ridley Scott était d’un tout autre niveau : on peut penser que le défi présenté par une narration limitée à des situations où la topologie des lieux et les mouvements des personnages sont les uniques vecteurs « d’émotion » pour le spectateur était trop colossal pour un réalisateur débutant…
… Et ce d’autant que "Mosul" présente une autre faiblesse quasi-mortelle : le fait que la mission « secrète » du SWAT nous reste inconnue jusqu’aux dernières minutes du film, sans aucun autre motif réel que celui de jouer comme tout film hollywoodien lambda sur une sorte de « twist final »… Comment donc être embarqué avec ces combattants que nous ne connaissons pas dans un combat dont on nous refuse d’éclaircir le sens, au long d’une trajectoire que l’on ne nous montre jamais clairement ?
Le final du film, basé sur ce qui est visiblement conçu comme un « retour aux émotions humaines » après l’abstraction des combats, utilisant la métamorphose peu crédible du jeune policier embarqué au sein du SWAT, dévoile bien le projet manipulateur des producteurs et du scénariste-réalisateur : rien à voir avec la volonté de nous raconter quoi que ce soit de la réalité terrible de la guerre d’Irak, il ne s’agissait que de faire jouer les vieux ressorts habituels du récit populaire hollywoodien.
Messieurs, on ne vous félicite pas !
[Critique écrite en 2020]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2020/12/29/netflix-mosul-les-vieux-ressorts-habituels-du-recit-hollywoodien/