Des questions d’abord, plein de questions, trop de questions… Et des impressions en pagaille, un déferlement, face à un film dont on peut être sûr, au moins, de deux choses : soit Darren Aronofsky est complètement cinglé, soit c’est un petit malin qui sait déjouer nos attentes et jouer avec nos nerfs. À travers l’histoire de ce couple (elle femme au foyer occupée à retaper leur maison, et lui auteur n’arrivant plus à écrire, isolés dans une immense et étrange bâtisse) qui, peu à peu, va basculer dans une horreur sans nom, Aronofsky cherche à ne surtout pas nous ménager, et toujours à nous déstabiliser. Est-ce une parabole sur la création ? Une parabole sur l’artiste, sur le monde, sur la maternité, sur l’amour ? Serait-ce tout cela à la fois ?
S’il restait, dans Black swan, un soupçon de subtilité, ici c’est terminé. Tout a valdingué, tout est chamboulé. Aronofsky y va à fond, avec de gros sabots aux pieds et de la grosse symbolique étalée partout sur les murs. Certains (beaucoup) trouveront le film grotesque et vain, d’autres génialement grandiloquent. D’abord splendide thriller domestique à tendance parano, le film, dans sa deuxième partie, semble prendre plaisir à détruire, tels ces gens s’acharnant à détruire la maison, tout ce qu’il a été possible d’ingurgiter et de comprendre dans la première, jusqu’à un final en forme de cauchemar apocalyptique proche de la sidération (Aronofsky, coutumier du fait, terminait de la même façon Black swan et Requiem for a dream : par une claque dans la gueule).
Connaissant l’animal, le sous-texte religieux est évidemment plus que sursignifiant : la maison est comme un Éden, les deux frères comme Abel et Caïn, elle comme Marie, lui comme Dieu… Mais Aronofsky semble ne pas se satisfaire d’une seule strate, se contenter d’une seule lecture. Alors il en rajoute, il en fait des tonnes. À un tel niveau de grand n’importe quoi, on sent bien qu’Aronofsky, au-delà de la maîtrise totale de sa mise en scène, a clairement décidé d’abandonner toute demi-mesure dans ses intentions. De fait, il n’est jamais meilleur que quand il évoque le divin et l’indicible en ne se prenant pas au sérieux (c’est ce qui plombait The fountain et Noé), en démultipliant les outrances, les signes et les enjeux (Terrence Malick devrait se laisser tenter). Entre la bondieuserie frénétique et le trop-plein jouissif (comme la continuation d’un Ken Russell ou d’un Andrzej Zulawski), Mother! relègue toute excessivité à du détail, à un argument qu’il ne sert à rien de contester. Oui, tout est excessif dans Mother!, et alors ?
Alors ça parle de quoi, concrètement, ce truc ? Ça parle du processus de création (la maison comme un espace mental à investir, à ouvrir sur le monde pour imaginer et créer), du déploiement de l’inspiration (incarnée par Jennifer Lawrence en muse tourmentée, et ne se fait-elle pas appeler ainsi à un moment, inspiration ?) retenue dans cette maison dont elle ne sortira pas et que l’écrivain (Javier Bardem) malmène afin d’en extraire la sève et ses mots, ces mots qu’il donnera ensuite en pâture à son public pour, in fine, repartir sur un nouveau cycle (amorcé du cœur, littéralement, de celle-ci). Ça parle aussi du monde, de notre monde, soumis à la fureur de l’Homme. De Mère Nature, de Gaïa meurtries sans relâche (la maison, cette fois-ci, comme un paradis éclos, comme une source organique dévastée au fur et à mesure), impuissantes face au pillage, au surnombre, à la violence, à la volonté d’un Créateur miséricordieux, et condamnées à se sacrifier, à recommencer et à perpétuer.
Tout ce salmigondis de métaphores, de références et de genres (on pense à Rosemary’s baby, à Possession, à Shining, à Amityville, à Antichrist…) reste pourtant extrêmement cohérent (pour peu que l’on goûte au délire) dans sa logique biblico-écolo-jusqu’au-boutiste (rien que ça), et parachevé dans sa forme avec une flamboyance indiscutable (on est happé jusqu’à la dernière seconde). Allégorie d’aujourd’hui, prédication simpliste et/ou boursouflure assumée, Mother! s’autorise tout et ne fait rien pour arranger les choses, bien au contraire. Le film martèle et hurle ce qu’il a à nous dire, pour se rétracter enfin en une ode convulsée à la Terre, mère de tous, et à l’inspiration, mère de tous (les récits).
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