Mother ! est de la trempe de ces films rares, de plus en plus en rares, perle d'un noir opaque, passée au travers du tamis de la grande pêche industrielle Hollywoodienne.
C'est à se demander comment un tel objet de cinéma radical a pu être produit, distribué et nous parvenir sans retouche, tant on sent à chaque instant la patte d'un auteur, l'aboutissement de la vision artistique de Darren Aronofsky.
Un peu égaré après le trop emphatique barnum de Noé, le réalisateur prodige nous revient avec un film dans la lignée de Black Swan ou Requiem For A Dream.
Un film intimiste, si viscéral qu'il en devient intestinal. Ce sont littéralement les tripes d'un auteur, les tripes de son personnage qui nous sont révélées par le prisme de cette maison vivante et de cette mère auscultée sous toutes les coutures par une caméra voyeuse et impudique. Une Mère comme perçue de l'intérieur par un spectateur qui devient son enfant.
Un film qui vient du ventre, donc, dans une industrie qui ne pense qu'avec la tête.
Le choc est total. A la sortie, on est K.O, tuméfié par la force du coup, sidéré par la profondeur du geste.
Plutôt que de le prendre pour ce qu'il montre, prendre le film pour ce qu'il sous-entend, crée, fait résonner (et non pas raisonner) en nous.
Il s'agit bien ici d'une parabole, d'une fable, d'un conte noir. Tout n'est que symboles, illusions, pressentiments, frémissements et perceptions.
L'angoisse existentielle due à l'enfantement, le vide de la solitude, l'incompréhension face à celui qu'on croyait connaître, l'impossibilité de communiquer l'amour, la vanité matérielle à exister à travers les choses et non à travers les actes, l’orgueil de se croire maître de quelqu'un...
Autant de thèmes universels, parfois évoqués subtilement, au détour d'un regard, parfois exposés à vue, à la limite du haut-le-cœur, dans une expérience qui égratigne le spectateur.
Le personnage incarné par l'étourdissante Jennifer Lawrence passe son temps à réparer, fixer, peindre, cacher les trous béants de la maison, refusant toute forme d'intrusion.
Intrusion extérieure, par le biais de visiteurs sans-gêne mais aussi intrusion intérieure, via ce cœur qui bat dans les murs et qui résonne jusque dans son ventre.
Ce personnage apeuré, ne rêvant que de sérénité dans son cocon, fait face à celui de Javier Bardem, démiurge bouillonnant, étouffant dans la maison, voulant s'abreuver à la source du Monde pour le faire entrer dans son Grand Livre.
La voûte est tournée vers le ciel mais un liquide coule dans la cave...
Allégorie de la création artistique, de la procréation et même de la Création Originelle, Mother ! englobe le premier acte de l'Humanité dans un film terminal, Nouveau Testament d'un réalisateur souhaitant repartir non pas d'une page blanche mais d'une page noire comme la nuit...
Au Commencement, était la Mère...