A première vue, Mother! est un film qui peut paraitre cryptique. C'est un film qui laisse une grande place à l'interprétation, même si les intentions de Darren Aronofsky sont clairement affichées ici. Rien n'est clairement expliqué, mais les effets sont tellement appuyés que le doute n'est pas permis. Mother! c'est beaucoup de choses, mais c'est surtout et avant tout une relecture de la bible et un film qui semble s'inscrire dans la continuité de Noé, mais dans un style visuel plus proche de The Fountain.
Avant de voir Mother!, il est préférable d'en savoir le moins possible sur le film. Disons simplement que Jennifer Lawrence et Javier Bardem vivent dans une grande maison, au milieu de nulle part. Chacun vaque à ses occupations, lui écrit un roman, elle refait la peinture de la maison ... lorsqu’une visite surprise (Ed Harris et Michelle Pfeiffer) les plonge peu à peu dans la folie.
Darren Aronofsky emprunte beaucoup au cinéma de David Lynch, de Satoshi Kon et surtout de Roman Polanski ... difficile de ne pas penser à Répulsion et Le Locataire en regardant Mother! Que ce soit la mise en scène, le cadre ou la construction narrative (une narration en boucle), tout fait irrémédiablement penser au Locataire, mais le fond du film c'est du 100% Aronofsky. Il y dévoile tous les thèmes qui lui sont chers et qu'il a déjà développés tout au long de sa filmographie, la religion, l'écologie et l'oppression entre autres.
Mother! c'est un film d'ambiance (visuel et sonore) qui joue avec nos sens. Le cadre semble parfait, une belle et grande maison au milieu de nulle part, entourée de belles herbes et de grands arbres. Mais dès la première scène, nous pouvons sentir que quelque chose ne va pas et que ce cadre, qui semble idyllique au premier abord, cache en réalité de biens lourds secrets. Les éléments incongrus s'ajoutent les uns après les autres et votre cerveau a bien du mal à suivre par moments. On sait que quelque chose de mauvais se prépare là, devant nos yeux, mais Darren Aronofski va si loin dans le sordide, que c'est impossible de deviner jusqu'où il peut aller ... et croyez-moi, il va très loin !
Jennifer Lawrence est présente sur quasiment tous les plans du film, à l'exception de un ou deux plans au grand maximum. Il est donc inutile de préciser que tout le film repose sur ses épaules et sa performance est formidable. Non seulement elle est belle, mais en plus elle arrive à faire passer tout un panel d'émotions par un simple regard. Elle est sans cesse malmenée physiquement et psychologiquement tout au long du film. Avec cinq ou six lignes de dialogues tout au plus, elle fait donc tout passer par l'expression du corps, le regard et les gestes. Elle est fabuleuse pour montrer à quel point son personnage est dans un état mental fragile.
Javier Bardem est le partenaire de jeu idéal, il laisse la vedette à Jennifer Lawrence. Il contrebalance son jeu avec une performance tout à la fois sobre et enflammée, avec parfois des envolées de rage et de colère qui font leur petit effet. Quant à Ed Harris et Michelle Pfeiffer, ils forment un couple surprenant, qui en l'espace de deux ou trois scènes, arrivent à marquer nos esprit. Tout particulièrement pour Michelle Pfeiffer, ça fait plaisir de la revoir dans un rôle d'envergure au cinéma.
Le film dénonce plusieurs faits qui ont marqué notre histoire : la violence, la guerre, le fanatisme, l'anarchie, le chaos, le désordre, l'humanité qui s’entretue et qui se piétine … mais c'est surtout une allégorie sur les écrits de la bible. Aprés Noé, il continue d'explorer toute cette thématique sur la force créatrice avec comme première lecture une métaphore religieuse ...
Javier Bardem c’est le Dieu créateur, un écrivain que tout le monde adule. Il fait venir les hommes sur Terre (la maison), dont Adam qui est le premier à rentrer dans la maison. Lorsqu'il vomit le premier soir, on remarque une cicatrice au niveau de ses côtés, car Ève serait née à partir d'une côte d'Adam. Et c'est alors qu'Ève rentre à son tour dans la maison. Adam et Ève ont l'interdiction de toucher au cristal (le fruit défendu) disposé dans la pièce interdite, le bureau (le paradis). Seulement voilà, ils bravent l'interdit, rentrent dans le bureau et arrive ce qu'il devait arriver ... ils cassent le cristal et sont bannis du bureau.
Jennifer Lawrence c’est la mère nature (aka Mother), elle prend soin de la maison et crée la vie (l'enfant). La maison c'est la Terre, son monde à elle qu'elle a façonnée (un monde parfait). La mère nature accueille la population grandissante et tente de les accueillir au mieux, tout en protégeant sa maison, mais les humains ne la respectent pas. Les gens sont sans-gêne, ils se servent, saccagent et détruisent la maison qui est vivante (elle saigne). Les hommes pillent les ressources de la Terre, provoquent des guerres, commettent des viols, laissent libre cours à la violence ... tout ça au nom de Dieu.
Au final, la mère nature donne naissance à une nouvelle âme pure, mais elle est aussitôt détruite par Dieu, aveuglé par la célébrité. Jennifer Lawrence essaie de se défendre, mais cela ne change rien à l'affaire. Elle fait donc explorer la maison et elle avec. Javier Bardem efface tout et recommence le processus créatif, grâce au cœur de Jennifer Lawrence qui a toujours de l'amour pour lui. Il va rebâtir une relation avec une autre personne, sur les cendres de cette relation passée (ce n'est plus Jennifer Lawrence comme au début du film) et recréer sans cesse ce nouveau monde, toujours à la recherche du succès.
L'interprétation la plus évidente repose sur cette métaphore religieuse que j'ai perçu en premier, dés les premiers plans qui spoilent tout le film ... mais très vite, j'ai mis tout ça de côté pour me concentrer sur l'artiste et son inspiratrice. De mon ressenti très personnel à moi, l'axe de lecture principal du film repose sur le processus créatif ...
J'y vois l'union de l'artiste (Javier Bardem) avec son inspiratrice (Jennifer Lawrence) pour construire son monde (la maison) et donner finalement naissance à la vie (le bébé). Il nait en lui la nécessité de laisser entrer des gens dans la maison (l'influence extérieure), même si cela nuit à l'inspiration principale (sa femme délaissée) et même la contrarie. La gestion du succès et surtout l'appropriation de l'œuvre par le public, entrainent un sentiment de dépossession de son "bébé", jusqu'à le travestir et le détruire. Heureusement pour lui, il lui restera toujours cette part d'amour de sa femme (le cœur), un pur joyau (le cristal) au yeux de l'artiste qui lui sert de point de départ pour redémarrer un processus créatif de zéro, avec une autre inspiratrice (sa nouvelle femme).
Mother! laisse libre cours à l'interprétation et chacun y voit ce qu'il veut y voir, un film sur les difficultés du couple, un propos féministe, voire même une réflexion sur l'écologie ... toujours est-il que le film reste quand même très évasif sur son contenu. C'est aussi un film "coup de poing" comme sait si bien le faire Darren Aronofsky. Comme dans tous ses films précédents, il aime choquer pour choquer, sans aucune subtilité, l'effet est toujours appuyé. Moi même j'ai ma propre interprétation sur le film, mais c'est clair que la lecture biblique est au centre de tout. Tout y est transposé de manière assez évidente, avec la mère nature, Dieu, Adam et Eve, Cain et Abel, le déluge, le fils de Dieu sacrifié ... et à la fin on recommence tout, sur une nouvelle Terre.
Mother! est un film que j’ai vraiment aimé, un film que j’ai trouvé vraiment très stimulant ... mais en même temps, je ne sais pas à qui je le recommanderais. C'est un film qu'on peut apprécier si on le considère comme une allégorie et non comme une histoire concrète sur un couple lambda. Au final, on se retrouve face à un tableau dérangeant, mais d'une beauté sans équivoque. Tout est parfaitement pensé (écriture) et filmé (mise en scène), ce qui témoigne d'un énorme travail de réflexion du réalisateur. N'en déplaise à certains, son propos est cohérent, une histoire qui va vous chercher aux tripes, vous bousculer et susciter des émotions ... toutes sortes d'émotions.