Le film démarre : c'est un Bollywood de 1957. Question : que sont les revendications d'un pays où le cinéma est né comme un champignon tchernobylien sur un terreau si peu comparable à celui des autres pays producteurs de cinéma, indépendant depuis dix ans et constitutionnalisé depuis sept ? La réponse avec la première image : c'est un engin agricole, et le propos est avoué d'office : comment concilier cette modernisation – objectivement bienvenue – avec le respect pour la douleur de ses ancêtres qui ont donné tant de sueur à leur terre ? Ce propos-là, Mother India lui voue toute son histoire, et son interprétation au travers d'une Nargis magnifiquement vieillie à coups de maquillage – même si ça se voit tout de suite – est juste énorme. Quant aux Anglais, on n'y fera qu'une seule et unique mention.
Au début, le film peine à trouver sa voie ; on ne comprend pas encore le modèle de la chose, on doit se confronter à un montage qui est horrible de tous points de vues (même si rempli de bonne volonté), et notre admiration de voir de la couleur dans un film indien si vieux ne va pas sans son corollaire : les décors sont risibles ! Ce n'est pas faute d'avoir fait bosser les décorateurs à plein régime, mais on croirait vraiment que l'utilisation de la couleur était prématurée et que Bollywood n'était pas prêt à en faire un rendu propre.
Mother India a de la peine à se défaire des faiblesses techniques allant de paire avec son époque, car sa motivation dépasse de loin toute considération temporelle. Néanmoins le budget était surprenamment énorme, la caméra est partout (d'où le montage atmosphérique), elle bouge, et même si les procédés théâtraux nous sortent parfois un peu de l'ambiance – je pense à la pluie qui vient de la droite de l'écran plutôt que d'en haut –, on ne peut s'empêcher d'admirer les moyens et l'audace du tournage. C'est une histoire un peu trop revendicative de la culture indienne pour un spectateur occidental – mais on sera agréablement choqué de voir un enfant fumer... pour de vrai ; c'est tellement tabou chez nous ! –, mais dont la beauté s'adresse à tout le monde.
Quantième Art