Le film commence sur des souvenirs et des décombres... Et ce Moulin Rouge dont les mille feux se sont éteints. Avant d'entrer de plein pied dans la frénésie qui s'en empare, quand le cancan retentit et que le Sparkling Diamond, la diaphane Satine, entre en scène. La plus belle et désirable sans nul doute, avec ses cheveux de feu, ses yeux bleus et ses lèvres rouges qui invitent au pêché. On ne voit qu'elle, malgré la mise en scène délurée, les danseurs exaltés, les medleys les plus fous et les chansons anachroniques qui s'enchainent, tandis que la caméra devient gourmande de la couleur chatoyante, des décors chargés jusqu'à l'excès et des froufrous dentelés qui osent se montrer.
Moulin Rouge ! pourra sembler, au premier abord et aux yeux de quelques cyniques, une folie vaine, tourbillonnante et déjantée dont les multiples décalages fatigueront ou lasseront le spectateur perdu qui a osé pousser les portes d'un cabaret customisé en discothèque pop et rococo. Mais ce serait oublier que le film parle surtout, et avant tout, d'amour. En ce sens, chaque chanson se fraie un chemin tout droit vers le coeur, en arrêtant le temps comme en un instant magique côtoyant la grâce de la passion. Un moment que le coeur étourdi voudrait conserver pour toujours, en une envolée sur les toits parisiens, où les amoureux se tournent autour avant de se tomber dans les bras. Ces moments, des scènes comiques tournant au vaudeville burlesque y répondent, toujours en chansons, dans un Spectacular Spectacular exubérant et fou, ou encore dans un Like a Virgin endiablé entre un Duc incrédule et un Zidler déjanté, comme dans des tableaux d'une comédie musicale décalée.
Cette légèreté apparente s'effacera pourtant bien vite, tout comme les étoiles qui remplissent les yeux des amoureux tout abandonnés au plaisir de ce qu'ils éprouvent. Baz Luhrmann assombrit peu à peu sa mise en scène car si l'amour est l'oxygène, la seule vérité en ce monde, c'est aussi la jalousie comme expression de la souffrance, quand on désire le moindre souffle de l'autre, quand on désire se perdre dans chacun de ses baisers.
Cette souffrance culminera non pas dans un final annoncé dès les premières minutes du film, mais plutôt dans un tragique et désespéré El Tango de Roxanne, mettant à nu la douleur que ressent Christian et qui finit de transformer Moulin Rouge ! en un opéra des sentiments exacerbés, qui se retient par instant avant de laisser éclater ce qu'il a dans le coeur. Car Baz Luhrman, finalement, aime et étreint son projet comme un adolescent qui aime pour la première fois, à l'image de son Christian. avec tout ce que cela comporte de maladresse, d'excès dans la passion et la tragédie. Mais aussi avec cette fulgurance, cette foi de tous les instants en ce qu'il nous met sous les yeux, cette force dans une mise en scène étincelante et cette énergie dévorante qui irradie l'oeuvre comme ses acteurs qui n'ont peut être jamais été aussi rayonnants.
Et alors que le rideau se ferme, comme à l'issue d'une pièce de théâtre, on pense l'espace d'un instant, à ce que Moulin Rouge ! est finalement une adaptation très libre du mythe d'Orphée. La quête d'un amour absolu, l'abandon d'un idéalisme au profit d'un passage douloureux à l'âge d'adulte, où l'on se rend compte, malgré nous, que rien ne dure. Et le Bolero du générique final émeut un peu plus encore le spectateur, persuadé que, comme Christian, la tragédie qu'il a vécue l'empêchera d'aimer à nouveau. Les larmes aux yeux.
Behind_the_Mask, yes we can (can).