Contre toute attente, ce n'est pas un cerveau malfaisant qui aura eu raison de James Bond à l'aide d'un plan machiavélique et cruel, mais des scénaristes producteurs bourrés de principes incompatibles avec la plus grande figure de l'espionnage de l'histoire du cinéma.


Tué avant d'être mort


Ce n'est un secret pour personne, 007 est problématique. Depuis le début d'ailleurs. Sean Connery avait ouvert le bal en possédant avec panache plusieurs sublimes créatures dans chaque film, et selon les esprits chagrins il les réduisait au simple statut de trophées. Et il est difficile de les contredire.


Le processus s'est accentué période Roger Moore, qui a poussé plus loin la transformation du classieux agent secret de sa majesté en fat libidineux plus proche de Roger Zabel que du milord anglais.


Bref l'agent secret britannique avait pris l'habitude de niquer "à couilles rabattues", comme le veut l'expression populaire. Ses contacts, ses indicatrices et même ses ennemies. Sa séduction était souvent accompagnée de gestes et de propos déplacés. Une masculinité toxique au point qu'Hazanavicus s'est contenté de plaquer cette mentalité de paon sur le personnage d'Hubert dans sa saga OSS pour réussir beaucoup d'effets comiques.


Ce n'est guère surprenant étant donné que James Bond est un personnage inventé en 1953, et que sa version de base imaginée par Ian Fleming est devenue quasi anachronique. Mais par un curieux hasard, le succès de cette figure masculine pleine d'assurance n'a pas décliné à travers les époques.


Les acteurs se succèdent pour jouer du mieux qu'ils le peuvent ce séducteur impénitent, mais tous ont gardé ces traits de caractère qui ont séduit des générations de midinettes : arrogance, courage, cynisme britannique et une violence inouïe dissimulée derrière le smoking et le verre de Martini.


La figure Bondienne n'avait pas tellement changé jusqu'à maintenant. Craig a commencé son cycle comme un Jack Bauer, ou un Jason Bourne, un trapu musculeux avec des petits yeux bleus cruels et il termine avec l'animalité de Cyril Féraud. Craig, de moins en moins motivé à l'idée de camper 007, a atteint le point de non retour ici. Et personnellement, je m'en fiche un peu en réalité. Car je n'ai jamais été fan de la saga : Redondante, archi prévisible, Bond fait figure de marronnier, un Beaujolais nouveau filmique qui s'impose mondialement malgré des scénarios le plus souvent improbables.


Cancel un autre jour


Dans le fond, James Bond c'est toujours pareil : un super méchant échafaude un plan pour détruire une partie du monde à l'aide d'une arme de destruction massive, ou du moins il menace de le faire si l'on ne lui verse pas une somme d'argent à 18 chiffres sur un compte en Suisse. 007 est alors envoyé sur place, tel un vulgaire livreur Deliveroo de l'extrême, aux Bahamas ou en Sibérie pour rencontrer un contact, généralement une femme de 25 ans au corps parfait et inexplicablement célibataire.


Ensemble ils mettent à mal la première partie du plan du vilain et passent la nuit ensemble devant un feu de cheminée (sauf quand la mission est aux Bahamas hein...), après quoi le contact sexy perd sa substance si j'ose dire et sort de l'action - tout au plus est elle kidnappée puis sauvée par James à la fin.


Bond poursuit sa mission dans un autre pays, où il se fait piéger en draguant une sbire du grand méchant. Il s'en sort avec un brin de chance et met à mal toute l'armada lancée à ses trousses avec une scène de bagnole où ses gadgets, présentés au début du film par un type dont le nom se limite à une consonne, trouvent enfin une utilité.


Il empêche la fin du monde et se permet une petit trait d'humour en forme de clin d’œil au spectateur. Franchement, c'est presque incompréhensible qu'un schéma aussi usé jusqu'à l'espadrille parviennent encore à déplacer des foules au cinéma. Faut croire qu'il y a un fidèle public pour les courses de bagnoles et les beautés exotiques peu farouches. Et ce public est globalement geek et masculin. Tous les goûts sont dans la nature après tout, y a bien des gens qui adorent se taper les films de Meg Ryan.


Et ce Mourir peut attendre, remplit une partie du cahier des charges, mais a pris soin d'effacer les ultimes manières irrespectueuses de l'agent plus du tout secret. Si James Bond ne se hasarde plus à faire des blagues sexistes ou sur l'accent de ses contacts en Asie, il continue de suriner joyeusement ses ennemis comme des porcs à l'aide de tous les objets qui lui passent sous la pogne ... mais toujours sans mauvais esprit !


Ainsi les incessantes bagarres, les plans de caméra façon Tour operator en Toscane et les super méchants ridicules répondent bien présents. Mais James, lui a changé. Il ne se manifeste plus par son trait d'esprit sarcastique, il n'est animé par aucune malice, il est comme absent ou contrarié... un peu comme s'il avait un slip trop petit... pardon pour cette nouvelle référence testiculaire, mais on parle de James Bond là, pas de Pierre Arditi dans un Resnais, les couilles de James sont une donnée fondamentale pour cerner le bonhomme.


000


Peut-être que l'affaire Weinstein lui a fait prendre conscience de sa toxicité mais dans ce film, il ne bouge pas une oreille. A Cuba par exemple, il fait équipe avec une Ana de Armas qui réveillerait un mort, mais lui se comporte avec elle comme un salafiste devant une topless suédoise, zéro tape au croupion, zéro invitation dans sa suite pour prendre un drink après la bagarre. Je ne suis même pas sûr qu'il lui serre la main, tout au plus la place-t-elle en copie mail de son boss pour l'avertir que le virus mortel a été neutralisé. 


Et la seule fois où les scénaristes ont voulu faire ressortir son côté dragueur, c'était uniquement pour mieux le faire dormir sur sa béquille avec le giga stop que lui fait Nomi.


Alors on va me dire, 1) tu exagères vraiment sur ce coup là immonde porc sexiste 2) mais c'est parce que Bond est maqué corniaud ! Alors 1) oui, pour les plus énervés par ma chronique 2) ok, Le Seydoux est sa régulière, et elle est sa femme et la mère de sa fille - même s'il ne le sait pas au début. MAIS :


Le concept de Bond marié, avec Mado qui a volé son coeur, rien que ça, est une boulette monumentale (ou un choix à la con), et ça annonce un peu sa future mort très grossière et symbolique. Un mariage d'autant plus incompréhensible qu'il s'unit pour la vie avec la pire James Bond girl entraperçue depuis des années, car je suis désolé mais Madeleine Swan (rien que le blase déjà, Proust pour les nuls) ça vaut un carton jaune. Ajoutez à cela qu'aucune alchimie se créait entre les deux comédiens, une durée de 3h de film, eh bien le spectateur français devient fou*.


James Bond fidèle... c'est aussi improbable qu'Oncle Picsou communiste ou Wonder Woman en télémarketeuse. Ce sont des changements qui récusent la substance de base du personnage. Si 007 a autant fasciné des générations de spectateurs, c'est parce qu'il incarnait un fantasme pur totalement abstrait et puéril, n'ayant aucun rapport avec la réalité. Bond c'est la liberté de niquer qui il veut quand il veut. Désolé pour la rudesse des mots, mais on peut pas mieux définir Bond.


Cette formule ô combien lapidaire est plus fidèle au mythe de 007 que Craig avec son regard de cocker battu qui garde ses mains dans ses pochettes devant le décolleté de Armas. Quelle aurait été la prochaine étape ? Qu'il nous parle de son crédit ou de son conflit avec le syndic de son immeuble ? Les scénaristes ont essayé de nous faire plaindre James Bond comme François Pignon, un comble.


Qu'on le veuille ou non, il a été apprécié parce qu'il avait un comportement de mâle alpha, qu'il séduisait Ursula Andress, faisait exploser des tanks et bastonnait à mains nues 10 guérilleros moustachus. Vouloir lui donner une humanité, une sensibilité, une conscience et donc une fidélité est selon moi une lubie de l'époque absurde, d'autant qu'il continue de buter à tour de bras et d'agir de manière très inconsciente dans le feu de l'action. Bond est un défouloir désuet, jamais un modèle d'homme ou de père.


Bond à rien


Si James Bond est devenu inconciliable avec l'époque, il vaut mieux cesser de le convoquer, et "respecter" sa nature de connard plutôt que de le détourner de la sorte. Autant créer un autre agent secret, et changer d'univers plutôt que de voir Bond se "modérer" au point de devenir un robinet d'eau tiède premier degré et romantique. 


Le truc c'est que cette figure fait vendre, donc on est bien content d'avoir sous la main ce dragueur invétéré qui déplace les gens et rapporte des millions de dollars, plutôt que de risquer un bide avec un nouveau type d'agent secret du genre Nomi. L'héritière, sexy comme un milieu relayeur de Rennes et fun comme un sketch au Théâtre des 2 ânes.


Car le pire c'est que ces crétins de producteurs ont pensé que ça serait suffisant de se limiter au symbole, et permettait de s'abstenir d'écrire un rôle à la pauvre Lashana Lynch . On bringuebale son personnage d'une scène à une autre en lui donnant un air poseur et bad ass. Sans défaut particulier, ni aspérité, juste un bloc de puissance symbolique. Sa déconstruction est prévue pour 2076.


A la limite, il vaudrait mieux qu'elle soit le centre du prochain film plutôt que foutre une ceinture de chasteté à l'alter ego de Sean Connery. 


Et le pire dans tout ça c'est la fin. Lui qui s'est sorti de toutes les situations inextricables, qui est venu à bout de Jaws et de 1000 périls, il perd la face devant l'un des pires méchants de l'histoire de la franchise, le tout chétif Rami Malek à peine remis de son rôle de Freddie Mercury, qui lui plante un opinel dans le dos, juste avant qu'une chiée de missiles s'abattent sur lui, façon Vil Coyotte. Vraiment une fin très décevante même pour ce con de James.  


De plus, il n'est même pas vraiment mort, puisqu'un message nous rassure après le générique "James Bond va revenir". Ok, un nouvel univers façon Spiderman, ou tout ce qu'on a vu est effacé par magie. Il revient, oui mais dans quel état ? Sous quelle forme ? Puisque la franchise tend vers toujours plus d'inclusivité - Q est devenu gay, ça n'a aucun intérêt dans l'histoire, puisque le mec est juste écrit comme un Jérôme Bonaldi mais avec un bac +5 et qu'il a deux lignes de dialogue.


Entre les films une seule question anime les débats autour de la saga : Le prochain Bond sera-t'il gay ou noir ? Curieux qu'aucun lobby de roux asthmatique ashkénaze ne tente de placer Jesse Einsberg comme futur 007. Il devrait y avoir un appel d'offre, puisque les personnages de fiction sont désormais comme des marchés publics, ce seront les plus motivés qui emporteront le morceau. Bond est donc devenu une figure universelle, et tout le monde veut son Bond, tout le monde veut avoir son "dragueur toxique qui sauve le monde" à lui....


Quelle reconnaissance au final pour un type qu'on cherche à déconstruire coûte que coûte.


*Pardon, j'ai pas pu m'en empêcher

Negreanu
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le 23 janv. 2022

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Negreanu

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