Jeff Nichols, c’est quand même devenu en deux films un réalisateur fiable, couvert d’éloges, dignement récompensé et à maintes reprises désigné comme héritier du Terrence Malick des années 1970. On a vu pire comme début de carrière. Le grand public l’a découvert avec son Take Shelter qui avait fait grand bruit à Cannes (vainqueur de la Semaine de la Critique), un drame rural teinté de fantastique porté par le formidable Michael Shannon. Avec Mud, le voilà revenu à quelque chose de plus classique et épuré.

N’ayant pas tout à fait rejoint les qualificatifs de "chef d’œuvre" ou "film de l’année" pour son Take Shelter, qui s’appuyait un peu trop à mon goût sur son mystère pour maintenir l’attention du spectateur, je m’étais réjoui de cette nouvelle. Son premier long-métrage, Shotgun Stories, était en effet un très bon film sans être original. Une solide histoire de rivalité familiale sur fond de vie difficile au fin fond de l’Amérique, là aussi comportant Shannon au casting, qui m’avait convaincu à tous les niveaux. Un cinéma qui ne juge pas ses personnages, qui n’en fait pas trop, qui prend le temps de respirer et de laisser vivre son petit univers pour mieux nous immerger dedans.

La comparaison à Malick me semble à nouveaux plus justifiée sur ce Mud, qui a un certain nombre de points communs avec La balade sauvage du fameux texan chapeauté. Des personnages un peu naïfs en marge de la société, une fascination pour la nature, des dialogues simples qui vont à l’essentiel et toujours un sentiment de tragédie imminente distillée par différents éléments. Si Mud a déjà été beaucoup comparé au Huckleberry Finn de Mark Twain, côté cinéma j’y ai vu des réminiscences des années 1980 et de ses nombreux films sur les enfants, tels que Les Goonies, Stand by Me ou plusieurs Spielberg. Une certaine tradition qui s’était perdue, tant il semble difficile de trouver de jeunes acteurs crédibles et supportables, alors en trouver tout un groupe…

Le présent film retrouve en tout cas de cette simplicité bienvenue, avec une situation initiale exposée sans chichis : Ellis et Neckbone, deux gamins vivant sur les rives du Mississipi, découvrent au gré d’une expédition en bateau un mystérieux personnage reclus sur une île. Mud de son surnom, vous l’aurez deviné, ce type un peu louche ayant pour seules possessions une chemise et un pistolet va vite se révéler assez passionnant. Pas la peine d’en dire plus sur le scénario, il serait dommage de gâcher ainsi l’un des nombreux points forts du film. Je n’ai d’ailleurs même pas de reproche à faire au film, rendez vous compte. Dans la tradition des auteurs-réalisateurs, Jeff Nichols maîtrise totalement son film, et s’il se fait plaisir dans certaines scènes avec son budget un peu plus élevé, il ne trahit jamais l’esprit de son film et ne tombe pas dans la facilité.

Il semblerait d’ailleurs que la première largesse qu’il se soit permise est au niveau du casting, avec pas moins que Matthew McConaughey, Reese Witherspoon, Sam Shepard, Michael Shannon, Ray McKinnon (Deadwood, Sons of Anarchy) et j’en passe. Un casting de sacrées gueules n’ayant pas hésité à s’enlaidir pour leurs rôles, McConaughey et Witherspoon les premiers, qui confèrent une authenticité appréciable au film. De façon plus générale d’ailleurs, le film sonne vrai, que ce soit les dialogues, la caractérisation des personnages, leurs relations, les divers évènements qui ponctuent le film et le dur apprentissage de la vie par lequel passent Ellis et Neckbone.

Et que dire de plus sans radoter ? C’est à mes yeux un film beau et simple, sur lequel je ne me vois pas discourir à rallonge puisqu’il ne justifie pas de grandes analyses (et ce n’est pas du tout un reproche), c’est ni plus ni moins que du travail superbement exécuté par un cinéaste prometteur et cohérent dans ses thèmes. Certains pourront trouver le film prévisible, et je le nierai pas, mais c’est difficilement un défaut devant du si bon cinéma classique (et assumé en tant que tel).
C’est avec ce genre de reproches systématiques devant des films soi-disant "pas originaux" qu’on se retrouve à voir encensé le moindre twist idiot qui vous retourne la tête en même temps que le semblant de cohérence initial du scénario. Bref, allez le voir et/ou regardez ses précédents, car voilà un réalisateur sur qui il faudra compter dans les prochaines années.
blazcowicz

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