Putain, c’est quoi ce délire avec Jeff Nichols ? C’est quoi ce truc disproportionné ? Faudrait voir quand même à se calmer un peu parce qu’à lire partout que ses rfilmss sont des chefs-d’œuvre de naturel et de simplicité, y’a quelque part comme un hiatus qui gêne. Certes, Shotgun stories, Take shelter et Mud ne sont pas mauvais, mais ils sont loin d’être des merveilles en puissance (qui se souviendra vraiment de ces films dans dix, voire dans cinq ans ?), surtout pour oser ensuite la comparaison avec Steven Spielberg ou à Clint Eastwood (pour son prochain grand "sommet d’émotions et de lyrisme", ce sera sans doute Stanley Kubrick). Le problème de Mud, c’est qu’il n’arrive jamais à passionner, et pour le jeu de mots critique foireux, on va dire que le film patauge dans la boue du conformisme.
De fait, on brandit à tour de bras les termes "classique", "hommage" et "maturité" pour cacher la misère d’un film avant tout ultra conventionnel. Le début ne convainc absolument pas. Non pas que la mise en place soit laborieuse ou le rythme mal géré, c’est seulement qu’on s’en fout parce que Nichols n’apporte aucun souffle ni aucun tumulte à son histoire qui n'évite pas certains clichés (le père sévère mais juste, le vieux briscard grognon de la CIA, les méchants stéréotypés, la fin pas crédible…). On s’en fout que les parents d’Ellis, le jeune héros de quatorze ans, s’engueulent et veulent divorcer, on s’en fout de ses premiers états d’âme amoureux, on s’en fout qu’il rencontre un type sur une île où il y a un bateau dans un arbre, et même on s’en fout de ce type (et le talent de Matthew McConaughey n’y change rien).
On s’en fout parce que c’est sans surprises et sans complexité, et parfois même un peu con. Exemple quand Mud, prévenu qu’Ellis est tombé dans un ruisseau infesté de serpents venimeux, fonce comme un malade pour le sauver mais prend le temps d’abord de récupérer sa chemise (?) et même de la boutonner (??). Récit d’aventures et d’apprentissage (on pense du coup à ces vrais classiques que sont La nuit du chasseur, Stand by me ou Un monde parfait), Mud évoque les désillusions de l’amour par le prisme de l’adolescence. Où qu’il se tourne, Ellis n’a que peines et regrets en seul point d’horizon : ses parents qui divorcent, May Pearl, sa soi-disant girlfriend, qui le rejette, Juniper qui rejette Mud, Mud qui refuse d'affronter la rupture.
Comment dès lors appréhender ses sentiments, comment appréhender l’amour, sa beauté et son innocence ? Face aux premiers crève-cœurs et face aux dangers (Mud est traqué par la police et des chasseurs de prime), Ellis et son ami Neckbone naviguent ainsi sur les chemins hasardeux de l’âge adulte comme ils naviguent sur les flots du Mississippi. Entre chaque scène de dialogues ou de moteur à l’action, Nichols balance, de façon très scolaire, deux ou trois plans de Dame Nature supposés faire sens avec soleil dans les arbres et vent dans les feuilles. Du coup ça ne rate pas, voilà monsieur comparé aussi à Terrence Malick par la Terre entière (mais sans l’aspect continûment sacré).
Avec sa mise en scène académique, limite plan-plan, et son intrigue au faux suspens balourd parvenant, dans son dernier tiers, a apporté un peu plus de consistance émotionnelle (Mud et Juniper s’observant de loin une dernière fois, Ellis qui craque et s’emporte contre Mud…), le film a au moins le mérite de confirmer la majesté de McConaughey qui explose à nouveau ces temps-ci (La défense Lincoln, Killer Joe ou le complètement bordélique Paperboy où il finissait le cul en l’air et la gueule en sang). Mud, film bateau (un comble), lui doit beaucoup, mais c’est finalement trop peu au regard de cette œuvre mollassonne qui aurait pu devenir une fable obscure (faire de Mud un personnage plus ambigu) et mystérieuse (accentuer davantage le caractère onirique du passage et de l’île) sur le crépuscule de l’enfance.