Premier long-métrage de Tony Bancroft et Barry Cook qui faisaient partie des équipes techniques de différents films d’animation de Disney au cours des années 1990, Mulan s’inscrit parmi les classiques de Disney, hors Pixar, à m’avoir énormément diverti quand j’étais jeune mais aussi à me paraître tellement bien élaboré avec un regard plus adulte et critique. Le scénario est inspiré d’une légende chinoise, autour d’une jeune fille partant à la guerre à la place de son père et en dissimilant son identité, dont les origines sont plutôt poétiques et littéraires mais qui ont pu être adaptées de plein de façons différentes, pourquoi pas par Disney ? La critique étant longue, je vous recommande l’écoute de cette reprise orchestrale absolument divine de Reflection.
SCENARIO / NARRATION : ★★★★★★★★★☆
Quelques années après Pocahontas, Disney confirme avec Mulan vouloir mettre en avant des protagonistes féminins d’autres cultures que l’occident, une démarche que je trouve très louable mais c’est surtout leur traitement qui compte le plus à mes yeux et ici : il est exemplaire ! Mulan fait preuve d’un courage et d’une détermination inébranlable pour parvenir à ses fins, oppressée par un système dont elle doit s’émanciper pour s’épanouir, ayant recours à des ruses plus déterminantes que la force brute, vertueuse sans non plus oublier qu’elle a ses propres motivations et intérêts...
Et comme nous sommes dans un film d’animation de Disney, tout ça nous est introduit avec brio par une chanson et des gags légers avec toute cette séquence très tôt dans le film où Mulan se présente pour montrer quelle épouse elle sera, ou plutôt ne saura pas être. En quelques minutes, on comprend à la fois tout le caractère et les compétences de Mulan qui justifieront ses choix et actions futurs dans le récit et également le système dans lequel elle vit qui régit très strictement le seul rôle alloué aux femmes, tout ça en riant des idées farfelues qu’ils ont pu trouver, soulignant l’aspect grotesque de la situation comme du système en place.
C’est un procédé que répétera le film assez souvent, assurer la transition entre deux situations par une chanson avec à la fois beaucoup d’humour et de dérision sur les principaux sujets du film, notamment ce qui peut graviter autour du féminisme, mais aussi un réel intérêt scénaristique. La chanson être un homme en est un excellent exemple puisque l’on voit en ce condensé de gags purs comment Mulan gagne de l’assurance et le respect de ses pairs, peut compenser son manque de force physique pour surmonter les obstacles face à elle, les prémices d’une relation avec Shang avec l’intérêt et l’admiration qu’elle lui porte… tout en soulignant évidemment à quel point le machisme est ici un concept on ne peut plus ridicule.
L’armée des Huns pose un antagonisme absolu et non nuancé qui ne me pose pas tant de problème que ça à vrai dire, ils ont voulu faire du leader une brute épaisse impitoyable qui veut marquer l’histoire par ses conquêtes sanglantes, ça colle assez bien avec l’imaginaire collectif autour des Huns de l’époque. Le plus important c’est qu’il soit convaincant dans ce rôle et il l’est avec ce suspense autour de l’ampleur de son armée, le fait qu’il soit toujours montré lui comme étant l’avant-garde de la menace, ses dialogues concis sur son rire machiavélique, un vrai jump-scare dont il est à l’origine…
Pour un film d’animation de Disney grand public, il parvient à mettre en place beaucoup de morts et d’enjeux dramatiques de façon assez subtile. Bien sûr, avoir diabolisé les Huns aide beaucoup le procédé, mais on a aussi la découverte d’un champ de bataille qui pourrait s’apparenter à un véritable charnier. Symbolisé par des objets introduits discrètement plus tôt et dont on comprend facilement la signification de les retrouver à tel endroit, une grande puissance émotionnelle s’en dégage sans verser dans une violence explicite complètement hors-sujet étant donné le jeune public visé.
L’humour passe beaucoup par le personnage de Mushu doublé par Eddie Murphy qui met une overdose d’énergie dans ce personnage qui ne tient pas en place 5 minutes et ça permet d’amener l’humour qui est incontournable dans ce genre de film sans que ça ne retombe sur le personnage principal qui doit ici être plus sérieux et dramatique. Cette répartition des rôles marche très bien et permet de trouver le juste équilibre entre le divertissement grand public et le récit d’aventure épique et émouvant. Il n’y aucun moment où les deux se mêlent mal à mon sens, même quand une chanson insouciante est coupée par un moment dramatique en plein couplet, ça fonctionne très bien !
C’est d’autant plus réussi que Mushu permet aussi d’aborder des thématiques croisées avec Mulan, comme le fait qu’il est parti dans une quête héroïque pour des raisons égoïstes et c’est ce qui permet d’amener tout en cohérence le parallèle avec les motivations premières de Mulan. Et il y a également un autre petit détail que j’apprécie énormément, il n’interagit avec quasiment personne d’autre que Mulan, presque comme si c’était un ami imaginaire, ce n’est pas tout à fait exact malheureusement mais ça permet vraiment un focus sur son rôle de sidekick à la protagoniste à mon sens.
RÉALISATION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★★☆☆
Avec un budget confortable de 70 millions de dollars, comme Hercule juste avant lui, Mulan est très satisfaisant sur le plan technique et parvient même à simuler superbement une grandiose bataille avec beaucoup d’inventivité. En plus des superbes chansons dont on parlait plus tôt, l’OST composée par Jerry Goldsmith, au CV interminable déjà à l’époque, permettait aussi de retrouver ce souffle épique quand il le fallait, surtout en créant ce sentiment de danger autour de l’antagoniste qui profite énormément de ce travail musical, et même dans les autres registres la musique fait très bien le travail.
Sur le plan visuel, on a à la fois beaucoup de dessin au sens strict et des éléments visuels de synthèse pour apporter une 3ème dimension à tout ça très palpable et sans que les uns ne jurent avec les autres, ce qui peut pourtant vite être le cas. De façon générale, l’animation va très bien au récit avec par exemple les traits du visage de Mulan qui sont légèrement modifiés quand elle se fait passer pour un homme, un rendu beaucoup plus difficile dans un film traditionnel. Ça sera également utilisé pour certains gags qui font évoluer l’histoire mais qui rendraient à coup sûr très mal avec de vrais acteurs et accessoires, comme quand Mushu chevauche un Panda et se fait passer pour un général, typiquement le genre de chose que l’on ne peut voir qu’en animation.
S’ouvrant sur une peinture d’aquarelle sur du papier de riz avec une magnifique musique chantée en fond sonore, Mulan dévoile tout de suite ses hautes intentions artistiques en puisant son inspiration du côté de la Chine. Bien que le film sera tout de même dans un style de dessin relativement conventionnel la plupart du temps, il reviendra à ce tout autre style à l’occasion pour offrir un peu de fraîcheur visuelle et d’idées de mise en scène, ce que j’apprécie pas mal même si davantage aurait encore été mieux. Bien que l’équipe ne soit absolument pas chinoise, il y a eu beaucoup d’efforts de fait pour que les choix artistiques paraissent le plus authentique possible.
Les décors sont très variés et dans des teintes de couleur très différentes les unes des autres, on a vraiment cette sensation d’épopée à travers la Chine, de ses rizières ensoleillées à ses montagnes enneigées, de ses petits villages à ses grandes cités… souvent cadrés de façon large et avec de la vie à l’écran. On retrouve aussi quelques exercices artistiques discrets mais sympathiques à ce niveau, par exemple par le jeu des couleurs avec certaines chansons qui peuvent avoir des couleurs de plus en plus intenses et vives au fur et à mesure que la musique gagne en intensité également, le ciel teinté de rouge quand il y a de la tension dans l’ambiance et qui va regagner ses couleurs bleutées quand la situation est apaisée...
Il peut y avoir une énorme symbolique dans un seul plan avec par exemple la fin de la chanson réflexion qui marque sa volonté d’être elle-même mais aussi de faire la fierté de son père, les deux semblant rentrer en opposition alors qu’elle voudrait les concilier, et au même moment elle voit le reflet de son visage mi-maquillé mi-naturel, récit, musique et illustrations sont alors en parfaite harmonie. C’est tout simplement une leçon à ce niveau-là et la démonstration d’une maîtrise absolue en la matière, rien à redire.
CONCLUSION : ★★★★★★★★☆☆
Au-delà du film d’animation divertissant qu’il réussit à être sans problème, Mulan s’avère être une formidable aventure avec ses grands moments de bravoure et ses belles situations mélancoliques tout en étant porteur d’un message intelligent et adapté à son public, et profitant du savoir faire technique et esthétique de très haut niveau de Disney. J’aimerais voir tout cela dans plus de grandes productions animées de chez Disney, de cette époque comme plus largement, mais pour moi Mulan à ce qui manque à la plupart pour se distinguer autant dans mon estime.