David Lynch n'est pas un réalisateur comme les autres, c'est avant tout un auteur dont les œuvres oniriques et sombres nous amènent à réfléchir sur la réalité humaine. L'œuvre de Lynch reprend l'idée de Ralph Emerson selon qui "la société est comme un bal masqué, chacun y cache sa véritable nature et celle-ci est révélée par le choix de son masque". Ses détracteurs pointent souvent du doigt une "complexité inutile" qui ressort de ses œuvres. Je lui ferais ce reproche pour son dernier film Inland Empire qui pour le coup est vraiment dur à regarder. Pour ce qui est du reste de sa filmographie, je pense qu'on en vient souvent à complexifier des choses qui n'ont pas lieu d'être dans la mesure où comme le dit lui-même Lynch, ses histoires n'ont pas qu'une seule lecture. Mulholland Drive fait partie de ces films qui divisent. Au bout de 2h20, on oscille généralement entre les "j'ai rien pigé, c'était naze" et les "j'ai rien compris mais c'était génial". Je vais ici essayer de montrer en quoi il s'agit d'un des films "mindfuck" les plus aboutis.
Le film apporte avant tout un regard critique sur la vanité d'Hollywood et des rêves qu'il suscite. Mulholland Drive est une longue route sinueuse surplombant la cité des anges et ses habitants. Lynch fait le portrait d'une ville lugubre, hypocrite et étouffante en nous plongeant dans des lieux inattendus tels que le Club Silencio. L'histoire nous présente deux protagonistes, Betsy incarnée par Naomi Watts et Rita jouée par Laura Harring dont les destins vont se croiser de façon assez cocasse. Betsy est une actrice douée, naïve et ambitieuse qui découvre le "rêve hollywoodien" tandis que Rita est devenue amnésique à la suite d'un accident sur la fameuse route et cherche à retrouver son identité. À la manière de Bergman avec Persona, Lynch fait progresser ses personnages dans un univers métaphorique dans lequel nos perceptions sont complètement mises à mal. La relation entre les deux femmes nous plonge rapidement dans un profond malaise car on ne sait pas quelle va en être l'issue. Comme Lynch ne fait pas les choses à moitié, on nous apporte un tas d'intrigues "secondaires" qui à première vue n'ont aucun rapport avec l'histoire principale. On ne compte pas le nombre de fois où on se demande ce que l'on est en train de regarder, "Lynch es-tu un escroc ?" pourrait-on lancer au bout de presque 2 heures. Jusqu'à ce que l'on se rende compte qu'on est tombé dans le panneau.
Beaucoup de monde reproche à Lynch de ne pas baser ses films sur la cohérence du scénario mais sur les sentiments et la psyché des spectateurs, ce qui est tout à fait respectable. Mais Mulholland Drive possède les deux : chaque scène apporte son lot de réponses et en connectant tous les indices, on comprend le message passé. Chaque personnage a son rôle et son importance, chaque objet ou représentation donne lieu à une interprétation. Finalement, Lynch nous propose un voyage fantasmagorique jouant sur nos aprioris et nos peurs, caractéristiques chez chacun de nous. On ne peut pas non plus oublier la bande originale d'Angelo Badalamenti à la fois envoûtante et dérangeante, qui colle parfaitement avec l'atmosphère du film. Je n'aime pas entendre dire que les travaux de Lynch sont inaccessibles. Certes, tout le monde n'aimera pas son univers et ses codes, mais cela reste une expérience unique que toute personne un tant soit peu curieuse se doit de découvrir. Dans un cas comme dans l'autre, ce film ne nous laisse pas indifférent et c'est ça qui rend le cinéma si passionnant !