Mulholland Drive de David Lynch est une odyssée labyrinthique, invitant à l'intellectualisation, tant par sa structure que par ses thématiques sous-jacentes. Loin d'être un simple récit, iI s'agit d'une immersion dans l'inconscient, où réalité et illusion se confondent. Lynch, maître du mystère, ne raconte pas une histoire : il exhume les vestiges d’un monde révolu, celui des illusions hollywoodiennes, et nous plonge dans l’effroi d’une vérité trop crue pour être supportée.
Dans sa première moitié, le film nous accueille dans un Los Angeles irréel, presque éthéré, on y suit Betty Elms (Naomi Watts) et Rita (Laura Harring), dolt cette première partie est une construction onirique issue de l'esprit de Diane Selwyn. Diane, une femme rongée par la culpabilité et l'échec, se réfugie dans un fantasme ou elle est réinventée en Betty: une jeune actrice pleine de talent et de pureté, nouvellement arrivée à Hollywood pour réaliser ses rêves.
À ses côtés, Rita (Laura Harring), amnésique et énigmatique, cherche à recomposer son identité, offrant au récit une tonalité de film noir. Dans ce rêve, les événements sont embellis, les relations idéalisées, et les problèmes simplifiés. Betty est héroïque, Rita est vulnérable et mystérieuse, et Hollywood semble être un lieu de possibilités infinies.
Puis vient le basculement. Le rêve s’effondre et laisse place à la réalité. Dans la deuxième partie, le spectateur découvre la véritable identité de Diane Selwyn. Contrairement à Betty, Diane est une femme brisée par l'échec, I'humiliation et la jalousie. Elle a commandité le meurtre de son amante Camilla Rhodes (le double de Rita) après avoir été rejetée par elle. Ce basculement révèle que la première partie n'était qu'un rêve échappatoire créé par Diane pour échap souffrance et à sa culpabilité
Hollywood, jusque-là paré des atours du fantasme, se révèle être un cimetière de désirs brisés, une machine impitoyable où talent et mérite se noient sous la corruption et le pouvoir. La scène où un réalisateur est contraint de choisir une actrice montre que le talent importe peu face aux dynamiques d'influence.
Les symboles lynchiens, tels que le club Silencio et la boîte bleue, hantent le film comme autant de rappels : tout n’est qu’illusion, et cette illusion se brise toujours face à la douleur de la vérité. Dans le club, la déclaration « Il n’y a pas d’orchestre » s’adresse autant aux personnages qu’aux spectateurs, soulignant l’artifice du rêve, qu’il soit hollywoodien ou personnel. La clé bleue est le symbole central du film. Dans la réalité, elle est le signe que le meurtre de Camilla a été accompli. Dans le rêve, la boîte bleue représente la vérité que Diane cherche à fuir. Lorsqu'elle est ouverte, le rêve seffondre, et la réalité prend le dessus.
Lynch construit un univers où chaque personnage et symbolique se dédoublent. Le rêve constitue un refuge face à une réalité insupportable. Diane, en rêvant qu'elle est Betty, recrée un monde où elle est en contrôle et où ses échecs sont effacés. Mais ce rêve est constamment menacé par sa culpabilité et apparaissent sous forme de symboles (le cadavre dans l'appartement, le vieil homme et la vieille femme, le monstre derrière le diner). Le rêve est une tentative de réécrire les événements. Ces visions grotesques et cauchemardesques culminent dans un tourbillon de folie qui consume Diane, laissant la caméra s’attarder sur son regard perdu, ultime reflet d’une âme disloquée.
Mulholland Drive est une tragédie moderne, un requiem pour les rêves et une autopsie de l’identité. En démantelant les conventions narratives et en multipliant les symboles, Lynch invite le spectateur à faire l'expérience du film à un niveau émotionnel et intellectuel. Pour le comprendre pleinement, il faut accepter d'errer dans ce labyrinthe, où le cinéma ne se contente plus de raconter : il suggère, il perturbe, il hypnotise.