L'aspect fascinant de la majorité des films de Lynch est que, peu importe le nombre d'interprétations, d'analyses et de décortications auxquelles ils sont soumis quotidiennement, ils restent complètement imperméables au phénomène de stérilisation intellectuelle dont le "cinéma d'auteur" est si souvent la victime - voire l'instigateur.
Mulholland Drive en est peut-être le plus parfait exemple, tant le film se prête à la lecture symbolique, cinématographique ou littéraire, et tant il semble pourtant n'en avoir que faire. On sent que tout est là, ultra-cohérent, ultra maîtrisé, mais peu importe. L'émotion l'emporte avant tout - à condition de se laisser porter. C'est dans ce cas seulement que l'on peut apprécier, après coup, le génie des associations d'idées, des parallèles, des jeux d'esprit distillés entre les deux parties distinctes du film.
Car ce film travaille insidieusement le spectateur dès son générique de fin, comme un rêve qui laisse une trace émotionnelle profonde au réveil, mais dont on ne se rappelle des éléments qu'au fur et à mesure qu'on en émerge, et qu'on peut relier à sa vie quotidienne en y réfléchissant dans la journée.
C'est tout le génie de Lynch que de privilégier l'émotionnel sans tomber dans la larmoyance, de livrer un film d'une rare intelligence sans être intellectuel, et de faire accepter au spectateur le fait de ne pas trouver tout de suite les clés de son œuvre, renforçant ainsi son adhésion inconditionnelle au projet de l’œuvre dès ses premières images vaporeuses, tout au long d'un spectacle tour à tour drôle, terrifiant, intriguant, mais, en fin de compte, terrassant.
Rien ne sert donc de sortir son carnet de notes, son dictionnaire des symboles, son exemplaire des Cahiers du cinéma spécial Lynch pour apprécier Mulholland Drive. Vous n'en aurez pas besoin.
Vous êtes les bienvenus.