Sur le papier, Music Box a tout du film de prétoire assommant : une avocate, fille d'immigré hongrois, défend son père au cours d'un procès qui vise à démontrer ou infirmer son implication dans des crimes abominables en lien avec la fin de la Seconde Guerre mondiale en Hongrie. On image un film larmoyant, un pavé dans la marre déjà bien fournie du cinéma ayant pour thème l'holocauste, dans lequel père et fille se découvriraient, se déchireraient pour mieux se retrouver en pansant les blessures familiales. Mais pas du tout : par des chemins détournés, Costa-Gavras s'intéresse à une toute autre forme d'horreur, relativement insoupçonnée.
C'est la progression du doute chez le personnage interprété par Jessica Lange qui constitue le principal fil conducteur des deux heures, parcourant d'un bout à l'autre le spectre de la culpabilité. Au début, il est simplement question d'un problème avec la demande de naturalisation que le père avait faite à la fin de la guerre, mâtiné de confusion et de probable erreur d'identification. Non, décidément, cet honnête père de famille qui a été un parfait citoyen américain pendant plus de quarante années, lui qui a fui le communisme pour trouver refuge aux États-Unis, ne peut pas être la même personne que ce tortionnaire nazi. Mais petit à petit, un faisceau d'indices vient nourrir une incertitude grandissante. Est-ce qu'on connaît nos proches aussi bien que ce qu'on pense ?
Mais le plus terrifiant, le plus intéressant, ce n'est évidemment pas quelque révélation que ce soit, au terme d'un voyage en Hongrie un peu trop lourd de sens (même si l'image de la photo brisant tout espoir chez la fille est réussie), à la faveur de l'audition d'un témoin capital trop faible pour être interrogé aux États-Unis. C'est plutôt la façon dont se matérialise le déni du père qui est glaçante, comment ce renoncement de conscience et de mémoire a constitué les fondations de sa citoyenneté américaine, ou comment un criminel de guerre a pu se camoufler dans les habits d'un bon père de famille (sans pour autant insister lourdement sur la monstruosité qui se cacherait derrière l'ordinaire). Costa-Gavras a eu la bonne idée de ne pas trop jouer sur un suspense moral qui aurait été de très mauvais goût quant à la culpabilité du personnage : il y a bien des éléments de preuve qui s'amassent, il y a bien une révélation fracassante, mais cela s'incorpore très clairement dans une toile de fond de plus grande ampleur. C'est un film qui laisse de nombreuses pistes en suspens, en prenant soin de ne pas apposer de jugement définitif ni d'affirmation rédhibitoire.
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